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SPAD S.VII / XIII

 

Le SPAD au cinéma

Cascadeur malgré lui

 

Pendant la première guerre mondiale, le chasseur de la SPAD (Société Pour l'Aviation et ses Dérivés) acquit une grande renommée, notamment auprès des Américains. En juillet 1917, la commission Bolling avait recommandé que les unités de chasse américaines soient équipées du nouveau SPAD XIII, et les unités d'entraînement, du SPAD VII. Mais les usines françaises étant déjà surchargées, la plupart des SPAD VII obtenus provenaient de la firme anglaise Mann, Egerton & Co. Après la guerre, plusieurs SPAD furent envoyés aux Etats-Unis, comme avions d’entraînement, et certains restèrent en service à Kelly Field (Texas) jusqu’en 1926. Plusieurs SPAD VII/XIII réformés se retrouvèrent sur le marché civil.

Fig.1. Un SPAD S.XIII de l’US Army Air Service (22nd Squadron)
©
Gary L. Smith Coll.

Pour le tournage de son film d'aviation "Wings", en 1927, le réalisateur William Wellman, un pilote vétéran de la guerre, fit acheter deux SPAD VII. C'était un avion qu'il connaissait bien, car il pilotait un SPAD quand il était instructeur de l'Armée, après la guerre, à Rockwell Field, San Diego. Selon lui, il était le seul à avoir un SPAD, alors que les autres volaient sur Thomas Morse S4-C, une pâle copie de Nieuport. Un des SPAD du film avait été acheté à Earl Daugherty de Long Beach pour 1 500 $. Selon le scénario, le cascadeur Dick Grace devait détruire un SPAD lors de l'atterrissage dans un no man's land. L'appareil fut soigneusement préparé pour le crash contrôlé : cloison pare-feu renforcée, carburateurs isolés pour éviter les incendies... Le réservoir situé sous les pieds du pilote et alimentant le moteur sous pression, fut enlevé pour ne conserver que celui de l'aile supérieure. Il fallut désentoiler le fuselage pour entourer les longerons en bois avec du ruban adhésif, pour les consolider, mais aussi éviter que les éclats de bois ne volent en tout sens. Le cockpit fut renforcé par des tubes d'acier, afin qu'il ne puisse s'écraser à l'impact. On débarrassa l'appareil de tous les instruments non indispensables, leviers, boutons, sur les côtés du cockpit, qui fut rembourré à certains endroits. Enfin, on installa une caméra carénée sur le dos du fuselage, derrière le pilote. Peu avant le tournage de la scène, toute une équipe de secours armée de haches, de cisailles, de scies, était prête à intervenir pour dégager le pilote, au cas où...Il y avait aussi une ambulance de l'armée, avec un médecin, et un avion prêt à emmener le blessé à l'hôpital de Fort Sam, à Houston. Le 26 septembre 1926, Grace crasha l'avion à 150 km/h et s'arrêta comme prévu, à 5-6 mètres des caméras. Ce qui n'était pas prévu, c'est que l'avion n'était pas exactement au bon endroit, et qu'il s'était retourné sur un pieu en bois qui rata Dick Grace de peu ! Il dira plus tard qu'il préférait le SPAD au Fokker D.VII, et que casser un si bon avion lui avait coûté.

 

Fig.2. Dick Grace devant l'épave du SPAD dans « Wings » © James Farmer

 L'épave de ce SPAD fut rachetée par le célèbre casseur d'Hollywood, Enrico Balboni, spécialisé dans les pièces d'avions. C'est ainsi que des morceaux de cet appareil auraient servi à reconstruire plus tard, le SPAD VII (B9913) exposé au Virginia Aviation Museum

Le deuxième SPAD VII de "Wings", apparaît au sol, aligné à côté d'un Thomas Morse MB-3, mais il ne vole pas. En fait, à part le seul vol fatal de Grace, les SPAD ne sont jamais vus en l'air où il sont doublés par des Thomas Morse MB-3 du 43rd Pursuit squadon de Kelly Field (Texas). Ces MB-3 sont marqués "SPAD XIII" sur la dérive, celle-ci étant parfois peinte pour mieux ressembler à celle des SPAD. Le MB-3 avec ses ailes à bouts carrés, ses huit mats, ressemblait, de loin, au SPAD, mais il était un peu plus gros, et ses deux radiateurs situés de chaque côté du fuselage, au droit du cockpit, étaient bien visibles. Les vues de l'avant du SPAD, tournées en studios, furent elles aussi doublées par celles d'un Vought VE-7, un avion d'entraînement dont l'armée n'avait pas voulu, avec un radiateur frontal rond comme le SPAD, mais un peu plus petit, et avec des volets horizontaux au lieu d'être verticaux. Les SPAD VII sont équipés de deux mitrailleuses de capot, comme les SPAD XIII, mais avec une fixation fantaisiste.

Dans "Now we're in the air" (1927), une production à petit budget de la Paramount, on retrouve un SPAD VII avec les mêmes décorations que celui de "Wings", mais, il reste au sol. L'année suivante, dans un autre film de série B, "Captain Swagger", un SPAD VII à livrée sombre, descend un Fokker D.VII; il est aussi filmé en vol, ce qui est rarissime. En 1930, William Wellman utilise des extraits de "Wings" dans son film "Young eagles" (1930) où Dick Grace casse de nouveau un SPAD, portant comme dans "Wings", le numéro « 7 ».

En 1938, pour le lancement du film en couleur «Men with wings» (titre français : «Les hommes volants») de W. Wellman, plusieurs photos publicitaires, semblant tirées du film, montrent un SPAD VII (en réalité, suspendu à des câbles), dans un studio, devant un Travel Air «Wichita Fokker», dont l'image est projetée sur un écran, pour simuler un dogfight

 

Fig.3. Une scène de "Men with wings" tournée en studio © Frank Stranad.
 

En réalité, ce SPAD VII ne servit que pour la promotion du film et la bande annonce. Il est équipé d'une seule Vickers de capot, ce qui est conforme au modèle original. Il porte l'insigne de l’unité de W. Wellman pendant la guerre, la N.87 (le chat faisant le gros dos), et le numéro « 7 », déjà apparu sur les SPAD des films antérieurs. Rappelons que l’avion de Wellman, à Lunéville, lors de l'hiver 1917, était un Nieuport 27 appelé « Célia » (du nom de sa mère), et qu'il en eut cinq, dont le numéro « 10 ». Le numéro « 7 » était l'avion du maréchal des logis Miot, tué en janvier1918, que Wellman qualifie d' "as de l'escadrille".

Cet avion aurait été trouvé par Paul Mantz dans une grange de l’Imperial valley, ou dans les caves d’un vieil hôtel à Brawley (CA), selon les sources.. L’avion fut immatriculé NX18968 et portait le numéro de série S-248, ce qui en ferait un SPAD des premiers modèles construit en France au début de 1917. Mais son origine exacte reste incertaine. Le panneau moteur latéral a 34 fentes comme les premiers modèles (S111-S160), mais le capot supérieur est détachable comme sur les modèles des dernières séries (5xxx), construits par De Marçay. Le marche-pied à l'intérieur du fuselage ressemble à celui d'un modèle construit en Angleterre, alors que le tuyau d'échappement est celui d'un SPAD XIII, avec une sortie modifiée. Enfin, le pare-brise n'est pas d'origine. Une génératrice électrique a été montée sur la jambe de train droite. Les ailes auraient été construites par Mann Egerton, en Angleterre. On aurait donc affaire à un avion composite reconstruit à partir de plusieurs appareils, de dates et de constructions diverses.

 

Fig.4. Le SPAD VII NX18968 de Paul Mantz, en 1938,
à l’United Airport de Burbank © Air Classics
 

Un an plus tard, dans "Stunt pilot" (1939) de George Waggner, le SPAD est mieux mis en valeur. "Stunt pilot" fut tourné avec le SPAD VII de Paul Mantz, mais dans le scénario, il joue le rôle d'un vieil appareil dangereux, qualifié de "ruine", piloté par un cascadeur casse-cou ! On le voit atterrir et décoller du Metropolitan Airport de Los Angeles, mais pour les scènes de voltige, il est doublé par un Garland Lincoln, ou un Travel Air. Il est équipé d’un pot d’échappement court, qui s’arrête à peu près au niveau du cockpit, et de deux mitrailleuses Marlin de capot comme un SPAD XIII. Quand il se crashe, il est doublé par un Thomas Morse S4-C.

Après la guerre, parut "Captain Eddie" (1945), une biographie filmée de l'as américain Eddie Rickenbacker qui s'illustra sur le SPAD. Celui du film est toujours le SPAD VII de Paul Mantz, mais avec deux Vickers de capot. Le cockpit est filmé en gros plan, en studio, et on ne le voit pas voler. Puis il faudra attendre 1993, pour revoir un SPAD sur les écrans, dans le film français "L'instinct de l'ange" de Richard Dembo. Le SPAD qui apparaît, malheureusement trop brièvement, au sol, tout à la fin du film, est un SPAD XIII (S-4377) construit en février 1918 par la société Kellner de Levallois. Récupéré à l'état d'épave en Belgique par Jean Salis, dans les années 1970, sa restauration débuta en 1988, et il fut cédé à l'association Mémorial Flight de la Ferté-Alais en 1990. Il reprit l'air le 3 mai 1991, portant les couleurs de Charles Henri Dolan, dernier survivant de l'escadrille La Fayette.

 Le seul "acteur" d'Hollywood survivant, reste donc l'ancien avion de Paul Mantz. Après sa mort, cet avion immatriculé N4727V depuis mars 1954, fit son dernier vol en 1964 au sein de la Talmantz Collection. Il apparaît décoré (approximativement) comme le célèbre SPAD XIII (S-4523) d’Eddie Rickenbacker du 94th Aero Squadron

 

Fig.5. Le SPAD à Orange County en 1961 © JD Davis
 

Il faut rappeler que la société Tallmantz posséda plusieurs SPAD restaurés, dont certains venaient de la collection particulière de Frank Tallman. En 1968, le N4727V appartenait à la Rosen-Novak Auto Co., mais Tallman en assurait toujours la maintenance, et il était parqué au «Movieland of the Air Museum» à Santa Ana (CA). Il fut alors vendu  aux enchères et mis, en septembre 1972, au nom de l'"Aeroflex Museum" de New-York qui l'acheta pour 16 000 $. En octobre 1982, il fut de nouveau vendu aux enchères chez Christie, et acquis par le petit-fils de Louis Blériot. Ce dernier le loua à l'Imperial War Museum, de Duxford, où il était exposé en 1987, repeint, toujours comme le SPAD XIII de l'as américain Eddie Rickenbacker, avec de nouvelles ailes. L'avion fut confié en 2002, au musée régional de l'Air d'Angers-Marcé, pour une restauration approfondie. En juin 2018, il apparut, en forme, au meeting de Compiégne Aéro Classic, toutefois sans voler (il ne reçut pas son certificat de navigabilité, la restauration de ses ailes ayant été jugées non conformes par les services officiels); il appartient toujours à Louis Blériot. Il est décoré comme un avion de la SPA 103, l’avion de René Fonck. Il porte une cigogne aux ailes ébouriffées qui fut remplacée rapidement en 1917, par la cigogne ailes hautes, dite « cigogne de Fonck ».

 

Fig. 6. Le SPAD VII de Louis Blériot à Compiègne, en 2018

 

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La carrière du chasseur français à Hollywood fut relativement courte, et plutôt originale. Il était disponible en faible nombre; l'impossibilité de le convertir en biplace, en limitait l'utilisation dans le civil. Sa construction en bois ne favorisait pas sa longévité, et les avions utilisés au cinéma étaient, le plus souvent, des avions fatigués qui n'avaient pas volé depuis des années. Il fut, par conséquent, un avion sacrifié, consacré aux scènes de crashs, plus ou moins graves. Plusieurs disparurent ainsi, ou furent cannibalisés pour faire voler d'autres SPAD, reconstitués à partir de pièces provenant de plusieurs appareils. On comptait peu sur eux pour évoluer en plein ciel, devant les caméras, soit à cause de leur vétusté, soit à cause de leur pilotage plutôt pointu. Quand on les restaurait, on les estimait trop précieux pour être risqués dans un tournage, ce qui est d'ailleurs toujours le cas…Le SPAD resta donc un grand second rôle qui se vit ravir la vedette à l'écran, par le Nieuport 28 ou le Fokker D.VII et son (pseudo) sosie, le Wichita Fokker.

 

Filmographie du SPAD :

  • 1927    USA    « Wings » Paramount
  • 1927    USA    « Now we are in the air » Paramount
  • 1928    USA    « Captain Swagger » Pathe
  • 1930    USA    « Young eagles » Paramount
  • 1939    USA    « Stunt pilot » Monogram
  • 1945    USA    « Captain Eddie » 20th Century Fox
  • 1993    France « L'instinct de l'ange »

  Bibliographie sommaire:

  • FARMER James [1984] "Broken wings. Hollywood's air crashes". Missoula, Pictorial Histories Publishing Co., 111 p.
  • GREENWOOD Jim & Maxine [1982] "Stunt flying in the movies". Blue Ridge Summit, Tab Books Inc., 245 p.
  • GRONCZEWSKI Thomaz, FLEISCHER Seweryn M.[2004] "Spad VII C.1". Bytom, Aviatik Prod.  Aviatik Vintage Aircraft n°1, 166 p.
  • RIMMEL Tay [1990] "World War One survivors". Bourne End, Aston Publications, 160 p
  • TALLMAN Frank [1973] "Flying old planes". New York, Doubleday & Co., 255 p.
  • THOMPSON Scott A. [2008] "Hollywood's wings". In Flypast n° 317, 318, pp.34-40, pp.66-70.

 Sitesinternet :

  • www.aerovintage.com
  • www.theaerodrome.com
  • www.musee-aviation-angers.fr
 
Christian Santoir 

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