(Traîtres)
Année : 1936
Pays : Allemagne
Durée : 1h 32 min.
Genre :espionnage
Noir et blanc
Réalisateur : Karl Ritter
Scénario : W. Herzlieb,
H. Wagner
Acteurs principaux :
Lída Baarová (Marion), Willy Birgel
(Agent Morris), Irene von Meyendorff
(Hilde Körner), Theodor Loos (Dr.
Auer), Rudolf Fernau (Fritz
Brockau), Herbert A.E. Böhme
(Agent Schultz), Heinz Welzel
(Hans Klemm), Paul Dahlke (Agent
Geyer), Hans Zesch-Ballot (Dr.
Wehner).
Musique : Harold Kirschtein
Photographie : Günther Anders,
Heinz von Jaworsky
Producteur : Hans Ritter
Compagnie productrice : Universum Film (UFA)
Avions :
- Arado Ar.76, D-IZOH, IRYU, IUHE, IZVE,
IQUO, document.
- Focke Wulf Fw.56 Stösser, D-ITEO, document.
- Heinkel He.51A-1
- Heinkel He.51B-2
- Heinkel 70F, D-UKIL
Notre avis :
Ce film fut projeté pour la première fois le 10 septembre 1936 à Nuremberg, lors du 8° Congrès du NSDAP, le parti national socialiste. Le film rencontra un franc succès, d'après Goebbels, qui trouva Lida Baarova "très sympathique", lors du dîner qui suivit le film. Elle devait d'ailleurs devenir plus tard, sa maîtresse…Le réalisateur, Karl Ritter, un ancien officier d'active et dont c'était le second film, disposa de moyens considérables : tanks, avions, trains, autos, et même bateaux de guerre, grâce à la collaboration des trois armes : Wehrmacht, Luftwaffe et Kriegsmarine. Ce film est très bien réalisé, avec des enchaînements sonores et visuels, efficaces, des personnages secondaires excellents, de belles scènes de chars, des séquences aériennes superbement photographiées. "Verräter" fut primé à la Mostra de Venise de 1936 pour "qualités exceptionnelles". Ce film, où la propagande pure se fait discrète, s'exporta, et fut projeté aux Etats-Unis en janvier 1937. C'était un film très moderne pour l'époque, mais la presse officielle préféra mettre l'accent sur la leçon qu'il donnait : n'importe qui peut devenir un traître par négligence, ou légèreté. Le film se déroule dans trois milieux différends : la section prototype des usines Heinkel, un bataillon de chars, et une usine d'armement.
Le film ouvre sur un cabriolet américain (Hudson eight, modèle 1935) qui roule à vive allure sur une route de campagne. A bord, il y a trois hommes, trois étrangers, Morris, Geyer, le troisième étant muni de faux papiers au nom de Schultz. La voiture dépose ce dernier à proximité d'une usine aéronautique, où il a été embauché comme mécanicien. Geyer a mis une petite annonce dans un journal pour entrer en relation avec des personnes travaillant dans l'industrie. C'est ainsi qu'il rencontre l'ingénieur Brockau, qui travaille dans une usine d'armement. Ce que ne sait pas Geyer, c'est que les services du contre-espionnage allemand veillent, en épluchant notamment toutes les petites annonces émanant d'étrangers ! Brockau a besoin d'argent pour satisfaire les exigences toujours plus grandes de sa maîtresse, la belle Marion. Morris fait la connaissance à l'hôtel de la réceptionniste, Hilde, dont le petit ami, Hans Klemm, est tankiste. Il les invite tous les deux au restaurant plusieurs fois, et se fait même prendre en photo avec eux. Brockau fournit à Geyer, contre de l'argent, des copies des plans secrets d'un nouveau système qu'il a inventé. Mais Geyer demande toujours plus, et Brockau prend des risques en faisant copier la clé du coffre-fort situé dans le bureau d'un de ses collègues. La police retrouve le serrurier qui a été chargé de faire le double de la clé. Morris a fait subtiliser le carnet de Klemm, où il notait d'intéressantes informations concernant son régiment de char. Quand Klemm vient le voir, il accepte de lui rendre son carnet contre certaines informations militaires. Il refuse, mais Morris lui montre une reconnaissance de dette de 500 marks où sa signature est parfaitement imitée. Fou de rage, réalisant qu'il s'est compromis avec un espion, il va se confier à Hilde. A la caserne, il avoue tout à son officier qui lui reproche de fréquenter des gens qu'il ne connaît pas. Morris et Geyer apprennent alors qu'à l'usine d'aviation, Schulz s'est envolé avec un prototype vers l'Angleterre. Il est poursuivi par des chasseurs et intercepté alors qu'il franchit la côte. Il est descendu par des navires de guerre. Il est temps pour Morris et Geyer, de prendre le large. A l'usine d'armement, Brockau est pris en flagrant délit alors qu'il s'apprêtait à dérober des documents. Il s'enfuit, mais rattrapé, il se suicide en se jetant du haut d'un escalier. On arrête son amie Marion qui l'attendait à la gare. Morris est arrêté à son tour, alors qu'il s'était rendu chez Brockau pour une dernière "livraison". On le fait parler pour savoir où est Geyer; il a pris le train pour Hambourg. Le train est arrêté en rase campagne. Geyer essaie de s'échapper, mais il se noie dans des marécages. Hans Klemm est pardonné, et retrouve son unité, où un officier le félicite pour avoir contribué à démanteler un réseau d'espionnage.
Le film marque bien la différence entre les espions "étrangers" (d'aspect plutôt anglais), qui ne font, finalement, que leur travail, et les complices allemands qui sont les vrais fautifs, à des degrés divers. On remarquera la façon dont est interrogé Morris qui apparaît mourant. Cette scène montre que la police allemande avait les moyens de faire parler les accusés...Dés 1936, en Allemagne, la population est donc mise en garde. Chacun doit faire attention à ses propos et à son comportement, car des oreilles ennemis sont à l'écoute, et des espions sont tapis dans l'ombre, prêts à exploiter toutes les faiblesses personnelles ! Ce film, en présentant un espion, séducteur, grand seigneur, comme Morris, traduit aussi la sympathie existant pour le peuple germanique que sont les Anglais, sympathie que l'on pourra également discerner dans un autre de film de Ritter, "Pour le Mérite" (1939), par exemple. Après 1940, ce sera différent, et la tonalité des films sera franchement anglophobe.
Ce film d'espionnage à usage interne, "propre à la formation du peuple" selon la Commission de censure, est néanmoins intéressant, ne serait-ce que pour les quatre minutes de scènes aériennes, courtes, mais denses, filmées sans aucune maquette. On remarquera aussi les tanks légers Panzer I (premier type construit en Allemagne, depuis le traité de Versailles) appartenant à la Panzertruppenschule II de Wünsdorf, ainsi que des Geleitboote (escorteurs) de type F de la Kriegsmarine, qui abattent l'avion de Schultz.
Les avions du film :
La vedette du film est le Heinkel He.51A-1 dont on a des vues rapprochées, au sol et en vol. On assiste à sa mise en route (avec lanceur à manivelle), avec bruit réel du moteur BMW V1 7.3Z. Il porte les codes tactiques en vigueur entre janvier et septembre 1936 : "21 + G11" qui se lisent ainsi : Luftkreiskommando 2 (Berlin); 1° unité; lettre d'identification individuelle : G; 1° Gruppe, 1° Staffel. C'est un avion du 1/JG.132 "Richthofen" basé à Döberitz. L'avion était gris clair avec un capot moteur peint en rouge. Au début de 1937, cette unité sera la première à être transformée sur le nouveau Messerschmitt Bf.109. On reverra brièvement le Heinkel He.51 dans "Pour le mérite" (1938).
Des He.51 lors du tournage. |
Le film nous montre aussi la version marine du Heinkel He.51, le He.51B-2 sur flotteurs, dont quarante six seulement furent construits. Les avions du film sont ceux du 1° Staffel du Küstenjagdgruppe 136, basé à Kiel-Holtenau. Ils sont aperçus sur des extraits de documentaires, combinés avec les images du "21 + G11".
Le Heinkel piloté par Schultz est poursuivi par une horde d'Arado Ar.76 (dont les D-IZOH, IRYU, IUHE, IZVE, IQUO..) et de Focke Wulf Fw.56 Stösser (dont le D-ITEO). Ces deux types d'appareils étaient des avions d'entraînement à la chasse. Bien que le Focke Wulf ait été choisi de préférence à l'Arado, ce dernier fit néanmoins l'objet d'une petite série. Au début du film, Schultz prend les Arado qui le survolent pour des Stösser. Il devra revoir ses fiches d'identification…
Le film nous permet également d'admirer un magnifique Heinkel 70F (D-UKIL). Equipé d'une mitrailleuse, c'était un avion de reconnaissance à long rayon d'action. A la fin de 1936, ce type d'avion allait être envoyé en Espagne, au sein de la Légion Condor.
On remarquera que la plupart de ces avions militaires portent des immatriculations civiles ce qui tendrait à prouver qu'ils ont été filmés avant octobre 1935. A partir de cette date, les avions militaires auront une immatriculation particulière.
Enfin, au début du film, dans un hangar où on essaie des moteurs, on voit des mécaniciens travailler sur le moteur d'un Bücker Bu.133 Jungmann.
Christian Santoir
*Film disponible sur YouTube
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