LA PATROUILLE DE L'AUBE
Vo. Dawn Patrol
Réalisateur : Howard HAWKS
Scénaristes : Howard HAWKS, Seton I. MILLER
Dialogues :Dan TOTHEROTH
Histoire originale : « The Flight commander » de John Monk
SAUNDERS
Acteurs principaux :
Photos : Ernest HALLER
Photo aérienne : Elmer DYER
Musique : Leo FORBSTEIN
Producteur : Robert NORTH
Compagnie distributrice : First National
Avions :
- -Curtiss JN-4 (au sol)
- -Garland Lincoln LF.2, N75W
- -Laird Swallow J-5
- -Nieuport Ni.28 c/n 512, N10415, c/n 110E, N2539
- -Orenco
- -Pfalz D XII (au sol)
- -Standard J-1 (au sol)
- -Thomas Morse S-4C Scout
- -Travel Air 2000/4000
- -Travel Air 4000 Speedwing
- -Waterman Boeing CW (au sol)
Notre avis :
Ce film d’Howard HAWKS qui était pilote privé depuis 1916 et fut instructeur dans l’US Army Air Service en 1918, sortit à peine deux mois après le célèbre "Hell’s angels" d’Howard HUGHES. Le scénario s’inspire d’une nouvelle de onze pages "The Flight commander" écrite par John Monk Saunders, un autre pilote de la Première Guerre mondiale qui écrivit également l’histoire de "Wings".
L’histoire se passe en France, vers la fin 1915. Une escadrille de chasse du Royal Flying Corps, la 59th, réalise des exploits au prix de lourdes pertes. Un officier, Courtney, entre alors en conflit avec son chef, le major Brand, tenu pour responsable de l’hécatombe. Quand l’as allemand von Richter arrive dans le secteur, Courtney et son ami Scott font un raid sur le terrain allemand, malgré les ordres du major. Mais ce dernier est transféré et Courtney le remplace. Un jour, il doit envoyer en mission le frère de Scott, arrivé en renfort. Il est tué et l’amitié entre les deux amis se refroidit singulièrement. Quand une mission suicide est ordonnée, Scott se porte volontaire. Courtney l’enivre et prend sa place. Le film s’achève sur la scène où Scott, nouveau commandant de l’escadrille, accueille une nouvelle fournée de jeunes pilotes frais émoulus de l’école.
Ce script écrit en grande partie par HAWKS, selon ses dires, fait référence à la situation prévalant dans le second semestre de 1915 et le début de 1916, où les pilotes anglais étaient devenus de la « chair à Fokker » selon l’expression imagée d’un ministre anglais. Le RFC subit pendant cette période de très lourdes pertes, et les vétérans tués furent remplacés par de jeunes recrues hâtivement formées. Les Allemands avaient mis en service le Fokker Eindecker, le seul avion équipé d’une mitrailleuse synchronisée avec l’hélice. Mais le film s’étend en fait sur une plus longue période. Von Richter, l’as allemand qui provoque les Anglais, rappelle évidemment von Richthofen. En 1915, ce dernier est encore observateur en Russie, puis en Belgique. Il ne sera un as qu’en janvier 1917. Vers la fin du film, il est question de la « grande offensive » allemande, sans doute celle de mars 1918, dans le nord de la France.
Tout au long du film, on ne parle que de bombardements, de ponts détruits. Les chasseurs servaient parfois pour l’observation et le harcèlement des troupes au sol. Des avions comme le Camel et le SE-5 pouvaient emporter de petites bombes (pas les Nieuport), mais on ne demandait pas aux chasseurs d’aller bombarder les dépôts de munitions ; il y avait des avions mieux adaptés pour ça. Le commandant passe son temps près du téléphone à recevoir des ordres émanant de l’état-major de l’Armée, des missions à basse altitude particulièrement meurtrières qui traduisent un mauvais emploi de l’arme aérienne. Les Anglais seront les premiers à séparer l’aviation de l’armée, avec un commandement distinct. La Royal Air Force sera créée en avril 1918.
Les pilotes cascadeurs Leo Nomis et Frank Tomick travaillèrent à DAWN PATROL, après «Young eagles» de WELLMAN. L’équipe des pilotes était à peu près la même que celle de « Hell's angels ». HAWKS embaucha Leo Nomis comme chef pilote avec un salaire supérieur à celui que lui avait offert H. HUGHES, un milliardaire très près de ses sous. Frank Tomick, Roy Wilson, Ira Reed, Garland Lincoln, Roscoe Turner participèrent également au tournage.
Les premières scènes furent filmées dans le secteur de Newhall-Saugus où First National construisit un terrain «allemand », au bord du Pico canyon. Un terrain « anglais » fut aménagé dans le ranch des frères Russell à Triunfo canyon, près de Thousand Oaks, où de nombreux films devaient être tournés par la suite. Il va sans dire que les montagnes environnantes coïncidaient mal avec les plaines de Flandres ou de Picardie.
Contre toute attente, le film reçut un meilleur accueil que "Hell’s Angels". HUGHES furieux porta plainte en prétextant que le scénario avait été copié sur celui de son film. En Grande Bretagne, Gainsborough Pictures attaquèrent également First National affirmant que des parties de leur film «Jouney’s end», filmé par Universal, avait été utilisées par DAWN PATROL. Les juges les déboutèrent et ces procès firent une énorme publicité au film. En fait, First National avait essayé d’éviter soigneusement toute ressemblance avec « Hell’s Angels » et avait peu confiance dans ce film qui ne bénéficia d’ailleurs pas d’une première. Il souffre certes de faiblesses dues en partie à la direction de HAWKS qui avait déjà tourné un film d’aviation, « Air circus » en 1928, mais dont c’était le premier film parlant. On lui reprocha des dialogues insipides.
Néanmoins, DAWN PATROL est devenu un véritable classique du genre, grâce notamment à son scénario; pour la première fois dans un film d’aviation pas de triangle amoureux, de fuite dans un avion ennemi capturé, pas d’espionnes de charme ou d’accortes fermières (from Armentières…), toutes choses très éloignées de la triste réalité. On n’y voit d’ailleurs pas l’ombre d’un jupon. Avec "Wings" et "Hell’s angels", DAWN PATROL représente la fin d’un cycle. Le cycle suivant sera marqué dans les années trente, par une série de pales imitations, sans originalité, au style éculé. Et aujourd’hui, on a l’impression que ce cycle n’est pas encore terminé !
Les avions du film :
Les seuls avions, disponibles en 1930, étaient bien différents des avions de 1915. Les Anglais volaient alors sur divers types d’appareils parmi lesquels des Bristol Scout, Avro 504, RAF BE 2, Re 7, des «pushers» comme les Vickers FB 5, RAF FE 2, etc... Sur l’autre bord, les Allemands combattaient sur Fokker E II, Albatros B.II, Rumpler C.I., LVG C.II. Aucun n’avait survécu.
Parmi les vingt-cinq avions utilisés par la production, la plupart sont des Travel Air 2000/4000 (dont les NC2743, 4835, 4419,688K, 477M) avec divers types de capots et de camouflages pour représenter des Nieuport 28 et des Fokker D.VII. Rappelons que le Nieuport 28 n’apparut qu’en novembre 1917 et le Fokker D.VII, en avril 1918.
Le Nieuport 28 avait été un des premiers avions à équiper le corps expéditionnaire américain en 1918. Garland Lincoln fournit trois Nieuport 28 (N2539, N10415, N75W), achetés à des particuliers, provenant de l’US Air Service et de l’US Navy. Ils avaient été modifiés avec notamment une aile raccourcie. Un seul apparaît avec des mâts d'aile en "II" d'origine, mais les deux autres ont des mâts d’entretoises renforcés en "N", et un, a une petite dérive. Ils servirent surtout au sol, pour les prises de vues rapprochées et les roulages. On n’en voit qu’un seul décoller, vers la fin du film.
Les Nieuport 28 du film portent différentes lettres de fuselage et des numéros variables sur le gouvernail : l'avion qui a une petite dérive est vu avec les lettres "N/C/H" et le numéro "428", un autre a la lettre "N" et les numéros "345/552" et le dernier, la lettre "O" et le numéro "562" (vu subrepticement avec des mâts en "I"...).
Ces avions ne servirent jamais chez les Anglais et bien qu’ils aient, dans le film, des cocardes de style anglais, leur décoration rappelle plutôt celle des avions français, d’autant qu’ils portent l’insigne de la "guêpe" de l’escadrille 89 qui fut un temps équipée de Nieuport 24 en mai 1917. Les gouvernails des Nie 28 sont d’ailleurs marqués "Nie 24 EL", ce qui est une erreur, il aurait fallu inscrire "Nie 24E1", "E" étant pour "Ecole", le Nie 24 ayant surtout servi aux Américains comme avion d'école. L'escadrille 89, devenue en 1918, la SPA 89 du Groupe de Combat 17, appuya les troupes américaines lors de l’offensive de St Mihiel. Notons que la guêpe (Vespa maculata) était aussi en 1930, l'insigne du 43rd School Squadron de Kelly Field (TX).
Alors que les Nieuport 28 étaient équipés de deux mitrailleuses Vickers, dont une sur le côté gauche, ceux du film ont, en plus de deux Vickers de capot (certaines munies de poignées, idéales pour défoncer le front en cas d’atterrissage trop dur) une Lewis sur l’aile supérieure comme les Nieuport 17 ; dans le film on voit aussi des Marlin modèle 1918 américaines, qui ne furent pas utilisées en France.
La First National fournit aussi deux Thomas Morse S4C qui furent employés pour les vols en formation et les crashs à l’atterrissage, ainsi que deux Travel Air 4000 Speedwing. Deux Orenco furent loués à Wilson Air Service et Garland Lincoln fournit un Laird Swallow J-5.
Côté allemand, on remarquera deux authentiques et rares Pfalz D XII qui dormaient depuis des années dans les dépôts du studio. Arrivés en unités vers la fin de la guerre, ces avions étaient tout aussi anachroniques; l’un d’eux finira au musée de l’Air et de l’Espace de Washington. On compte à côté de ces pièces de musée, deux Standard J-1 (NC2627, 2629), acquis auprès de Waldo Waterman, qui était en 1930, le directeur général du Metropolitan Airport de Los Angeles. Ces avions furent filmés au sol; les Standard et les Waterman furent détruits ou accidentés lors du straffing du terrain allemand.
Alors que les avions anglais sont d’une couleur claire, les allemands sont noirs ou couverts de rayures noires et blanches ou de damiers, décoration effectivement utilisées par les Allemands mais dans un schéma qui n’a pas grand chose à voir avec le travail du département artistique. En 1918, les Fokker de la Jasta 26 (Bruno Loerzer) étaient peints avec des bandes blanches et noires, transversales sur le fuselage et longitudinales sur l’extrados. Les Anglais les appelaient, les Fokker "noirs et blancs", les Français, les "damiers". Il y eut quelques appareils au fuselage entièrement recouvert de damiers, mais il s’agissait de marques personnelles (Fokker D.VII de Gothard Sachsenberg, Wilhem Hippert). On voit également des têtes de mort avec tibias, décorant tout une escadrille. Là encore, il s’agissait de marques individuelles, comme sur le Fokker de von Hantelman (Jasta 15) où la tête de mort était l’insigne de son ancien corps d’origine, les hussards. Enfin, les incontournables croix de fer sont largement dispensées, au mépris de toute exactitude historique.
Christian Santoir
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