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AUX YEUX DU SOUVENIR

AUX YEUX DU SOUVENIR

 

Année : 1948
Pays : France
Genre : drame
Durée : 1 h 40 min
Noir et blanc

Réalisateur : Jean DELANNOY
Scénario : Georges NEVEUX, Henri JEANSON

Acteurs principaux :

Jean MARAIS (Jacques Forestier), Michèle MORGAN (Claire Magny), Jean CHEVRIER (Pierre Aubry), Robert MURZEAU (Paul Marcadan), Colette MARS (la chef-hôtesse Mannier), Robert HOSSEIN (un élève du cours Simon), Jean DUVALEIX (un passager)

Musique :Georges AURIC
Photographie :Robert LEFEBVRE
Compagnie productrice : Les Films Gibé

 

Avions

  • -Douglas DC-4-1009, F-BBDB, F-BBDG, F-BBDK 
  • -Morane-Saulnier Criquet, F-BARJ 
  • -SE.161 Languedoc, F-BATI 
  • -Vickers Wellington Mk. XIII

 

Notre avis :

 "Aux yeux du souvenir", dédié aux équipages de l'aviation civile, aurait été produit par la compagnie Air France pour promouvoir le transport aérien et susciter des vocations chez les jeunes, à la sortie de la guerre. Mais Air France n'apparait nulle part dans le générique... Par contre, il est certain que le transporteur collabora au tournage, car le film est un véritable document sur les équipages ainsi que sur les avions de la compagnie, à la fin des années quarante. "Aux yeux du souvenir" est donc un authentique film d'aviation, on y trouve même une constante du genre, le classique triangle amoureux composé ici d'une hôtesse (Michèle Morgan) hésitant entre deux commandants de bord (Jean Marais et Jean Chevrier). A cette époque, paraît-il, les hôtesses cherchaient à se marier à un pilote ou à un riche passager...Ce film est aussi un des premiers du genre "catastrophe", avec ses passagers typiques (le prêtre, la vieille dame, l'enfant qui voyage seul..), et le suspens final d'un avion en détresse au dessus de l'Atlantique, inspiré par un fait réel survenu à un avion d'Air France, comme il est rappelé au début du film.

 L'histoire commence avec un avion patrouilleur partant à la recherche d'un petit appareil d'une compagnie privée, perdu dans le désert, au nord de Dakar. On retrouve le pilote, Jacques Forestier, et son mécanicien, Paul Marcadour, à proximité de l'épave. Ils sont indemnes mais ivres morts ! Un de leurs amis, Pierre Aubry, commandant de bord à Air France, organise leur rapatriement en France. Au moment de l'embarquement, l'hôtesse, Claire Magny, les reconnaît aussitôt. Trois ans auparavant, elle était la maîtresse de Jacques qui l'avait quittée précipitamment, sans explication...Elle avait tenté de se suicider mais avait été sauvée par Marcelle Marinier, un hôtesse d'Air France. Claire se destinait à une carrière de comédienne, mais avait fini par se tourner vers le transport aérien. Jacques, qui est un garçon frivole, s'excuse auprès de Claire de sa conduite et cherche à renouer avec elle. Mais celle ci le repousse, en lui déclarant qu'elle a un autre homme dans sa vie, Pierre Aubry ! Sans travail, Jacques et Paul sont engagés par Air France, grâce à Pierre. Celui ci apprend bientôt par la bouche de Paul, qu'il était l'amant de Claire. Déçu, Pierre décide de quitter la compagnie et de partir pour l'Indochine. Mais Claire lui laisse entendre qu'elle accepte d'être sa femme. Alors qu'ils se retrouvent tous les trois à l'escale de Rio, Jacques se rend compte qu'il est bien plus attaché à Claire qu'il ne le croyait et pense au suicide. Claire l'en dissuade, en lui avouant avoir voulu mourir à cause de lui. Lors du vol de retour sur Dakar, Jacques est aux commandes; au dessus de l'océan, le feu se déclare à un moteur, puis à un second. Au prix de gros efforts, Jacques parvient à éviter l'amerrissage et à se poser à Dakar, après que le mécanicien ait dû descendre le train à la main. Cette épreuve où ils ont failli mourir tous le deux, a définitivement rapproché Claire de Jacques. Quand Pierre, qui attendait Claire, les voit tous les deux enlacés, il comprend tout et s'éloigne sans un mot...

 La scène finale a en effet été inspirée d'un événement réel survenu le 19 février 1947 (et non pas le 7 février, comme annoncé dans le préambule..) à l'un des quatre nouveaux Lockheed Constellation L049 d'Air France, le «Gascogne» (F-BAZC, livré en novembre 1946). Cet avion avait décollé de New York pour Paris, via les Açores et Casablanca. Après l'escale des Açores, alors qu'il volait à 19 000 pieds, le régulateur de l'hélice du moteur n°4 tomba en panne; le moteur s'emballa et prit feu. Les extincteurs éteignirent l'incendie, mais l'hélice ne passa pas en drapeau. Le feu reprit peu après. L'hélice, à force de tourner, se détacha en endommageant gravement le moteur n°3 et son hélice; il fut donc arrêté et l'hélice mise en drapeau. Avec les seuls moteurs de gauche, l'appareil se traîna au ras des vagues, mais il parvint à Casablanca, avec deux heures de retard. Sans volets et avec le train principal droit ne se verrouillant pas, le mécanicien dut actionner la pompe à main du circuit hydraulique de secours. La direction de la roue avant ne fonctionnait pas non plus et l'avion sortit de la piste ! Mais le pilote parvint à arrêter l'avion.  Le «Zebra Charlie» (selon l'alphabet radio de l'époque) sera remis en état et poursuivra sa carrière à Air France jusqu'au 11 janvier 1950, date de sa vente à TWA.

 Le film reproduit assez fidèlement l'incident, sauf que ce n'est pas le même type d'appareil, que ce sont les moteurs 1 et 2 qui s'enflamment et que c'est le train gauche qui ne descend pas...La scène où l'on voit Paul manœuvrer frénétiquement la pompe à main du circuit hydraulique n'aurait pu avoir lieu sur un DC-4, dépourvu de circuit de secours ! La pompe à main située à gauche du siège du copilote servait à pressuriser le circuit hydraulique pour serrer les freins, au parking, avant le démarrage des moteurs ! Le circuit hydraulique du DC-4 étant alimenté par deux pompes situées sur les moteurs 3 et 4, Paul aurait donc pu, normalement, sortir le train et les volets.  En cas de panne, le train du DC-4 peut sortir par gravité; par contre, il n'y a plus de frein, ni de volets, ni de direction de la roulette avant, seul, reste le frein de secours à air comprimé qui bloquait immanquablement les pneus et les faisait éclater...C'est sur le Constellation, comme celui du véritable incident qui inspira la scène, qu'il y avait une pompe à main de secours pour descendre le train (pomper 350 fois...).

 On remarquera l'uniforme des hôtesses d'Air France, un tailleur de serge bleu pétrole crée par la couturière Georgette Rénal et directement inspiré des uniformes militaires. Le film comporte quelques situations comiques qui n'ont certainement pas été conçues comme telles, comme celle où l'avion ayant perdu deux moteurs, dont un en feu, l'hôtesse demande aux passagers de ne pas s'en faire...L'inconfort de l'escale de Dakar dans les baraquements militaires de "Terme Sud" (Ouakam), où les équipages doivent se battre avec les moustiques et dormir, bercés par le chant des crapauds (en hivernage seulement), dans des locaux non climatisés, était bien réel. En 1949, l'hôtel de Ngor, dessiné par Le Corbusier, sera construit par la chaîne des "Relais Aériens Français", filiale d' Air France. Cet établissement de luxe face à la mer et à deux pas des pistes, pourra fournir aux équipages un confort quatre étoiles. La nouvelle aérogare de Dakar-Yoff (qui n'est pas le terminal actuel) sera inauguré le 17 septembre de la même année.

 "Aux yeux du souvenir" fut nominé pour le Lion d'or au Festival de Venise de 1949. Il aurait atteint son but en suscitant de nombreuses vocations chez les jeunes Français pour les métiers de l'aviation civile. C'est un classique du film d'aviation; son scénario est banal mais servi par des grands acteurs. Aux États-Unis, il aurait très certainement été réédité, mais en France, ce film appartenant à un genre catalogué comme "mineur" (minable ?) et, à cause de problèmes de droits soit-disant compliqués (61 ans après sa sortie...), personne n'est donc prêt à en assurer sa diffusion, à commencer par Air France. C'est vraiment fort dommage, pour les aérocinéphiles, mais aussi pour Jean Marais et Michèle Morgan.

 

Les avions du film :

 Le film fut tourné en France, bien que l'on voie parfois des images du Sénégal. On retrouve ainsi l'ancien aérogare provisoire d'Orly, un bâtiment de plein pied recouvert de tôle ondulée qui tient lieu aussi d'aérogare de Dakar-Yoff, par le simple ajout d'un portique. Mais on voit aussi la toute  nouvelle aérogare d'Orly Nord, un édifice à un étage, mise service en 1948. Le tournage eut lieu également au Bourget où était installé le CPPN (Centre de Perfectionnement du Personnel Navigant) d'Air France .

 Le film ouvre sur un Vickers Wellington Mk. XIII ( HZ770) équipé d'un radar ASV Mk.II dont on aperçoit les antennes Yagi sous le nez et les ailes. Normalement, seule, la flottille 2F, basée sur la BAN de Dakar-Ouakam, volait sur ce genre d'appareil. Mais le décollage n'a pas lieu au Sénégal, les collines calcaires en arrière plan, faisant penser plutôt à la BAN de Berre-Istres. En vol, cet avion est remplacé par un Wellington Mk.X (HZ398) avec une insigne peu visible, rappelant celle de la BAN de Port Étienne (Nouadhibou, Mauritanie). Les vues du cockpit sont authentiques, mais alternent avec une vue prise dans un hydravion Dornier Do-24 qui équipait alors la flottille 9F.

 L'avion qu'il recherche est un Morane Saulnier Criquet (c/n 288, F-BARJ) de la compagnie fictive CAFA (Cie. Africaine de Fret Aérien..) et qui appartenait, en réalité, au Ministère des Travaux Publics et des Transports. Il est localisé par l'avion du "Air Sea Rescue" (les équipages français avaient été formés par les Britanniques..) à proximité du "cap Cisneiros" qui n'existe pas...Par contre, il y a la petite ville de Villa Cisneiros (actuellement Dakhla) située dans l'ancien Rio de Oro (aujourd'hui au Maroc) et dont le nom est associée à la saga de l'Aéropostale.

 Le film montre un grand nombre d'avions de la flotte d'Air France en 1947-1948. La plupart sont des Douglas DC-4 dont le premier exemplaire avait été livré à la compagnie le 16 février 1946, à Santa Monica (Ca.). Dès le 23 juin, la ligne de l’Atlantique Sud était ré-ouverte par un DC-4 piloté par Jean Dabry, effectuant la liaison Paris-Rio en 25 heures...

 A "Dakar", on voit, par les fenêtres du bar, passer le F-BELD qui était un ancien C-54A-15-DC (c/n 10372, s/n 42-72267). Après avoir été cédé à l'Aviation Royale des Indes Néerlandaises (NI-542),  il fut employé successivement, par la compagnie locale KNILM (PK-DSD), puis par la KLM  (PH-TSD), d'août 1947 à février 1948. Puis il passa de compagnie en compagnie : TAI (Transports Aériens Intercontinentaux) (F-BELD); octobre 1948, Air France; décembre 1953, Air Maroc; janvier 1954, Cie. Générale Transport Aérien, Air Algérie (7T-VAD ); octobre 1968, Air Fret (F-BRHC), une société basée à Nîmes, où il fut réformé en janvier 1970 et  ferraillé.

 A Dakar, Jacques et Paul embarquent pour Paris sur le DC-4-1009 (c/n 42912) F-BBDB livré par Douglas en 1946 à Air France. Il fut détruit en janvier 1950 à Orly, dans l'incendie de son hangar, lors d'une révision. Mais c'est le DC-4-1009 "Ciel de Bretagne" (c/n 42909, F-BBDA) qui décolle à sa place, de la piste 12 de Dakar-Yoff (en arrière plan, le phare des Mamelles). Acheté en 1946, il fut par la suite transformé en cargo postal et loué au Centre d'Exploitation Postal, jusqu'en 1973. Puis il servit un temps à Air Afrique (TU-TBF) avant d'être loué à Air Comores. Il finit avec l'Armée tchadienne (TT-NAD), à Ndjamena, en 1978.

 En 1948, il y avait trois vols par semaine entre Dakar et Paris, avec escale à Casa; départ le soir et arrivée quinze heures plus tard, en fin de matinée.

 Au Bourget, où Jacques commence son instruction chez Air France, on remarque en arrière plan les avions utilisés par le CPPN : des Junkers Ju-52, un Caudron C.449 Goéland (F-BAPO ?), un SE.161 Languedoc (n° 9, F-BATI) sur lequel Jacques passe un test. Cet avion, auquel la compagnie préférait le DC-4 pour sa fiabilité, fut retiré du service au début des années 1950. Dans la salle où Jacques s'entraine aux procédures IFR, on remarque que les Link-trainers (on en compte 7 ou 8) sont sans doute d'anciens appareils de l'US Army dont ils conservent les étoiles (modèle d'avant mai 1942) sur les ailes...Le Douglas C-47 (s/n 42-24289, F-BCYU), que l'on voit au Bourget, derrière Jacques et Pierre, était un avion de la Postale, un service basé au Bourget. Il sera détruit à l'atterrissage à Bordeaux en 1955.

 Jacques arrive à Dakar avec le DC-4-1009 (c/n 42939, F-BBDG) "Ciel de Champagne". Cet avion fut loué à Air Mauritanie en 1963 (5T-CAD), puis à Air Afrique en 1965.

 Le vol Dakar Rio et retour se fait avec le DC-4 (c/n 42943, F-BBDK) "Ciel de Normandie" et c'est cet avion qui a des ennuis moteur. Livré à Air France en juin 1946, il fut loué à Air Afrique (TU-TBE) en 1966, puis affecté au CEP en mars 1966. Il fut vendu en 1974 à Royal Air Cambodge où il finit sa carrière.

 On voit aussi le "nez" de deux autres DC-4 d'Air France au sol, le "Ciel de Provence" (c/n 42941, F-BBDI), à "Dakar", et le "Ciel de Touraine" à Orly.

 La cabine du DC-4 est assez bien reconstituée, avec ses quatre sièges de front (44 passagers), et le compartiment à bagages, entre la cabine et le cockpit (la soute du DC-4 était plutôt exiguë). On a quelques vues d'un vrai tableau de bord surplombé du grand cadran du radiocompas (en dessous du compas). On notera la sonnerie de l'alarme incendie moteur. Comme on nous le montre, le mécanicien passait son temps entre les deux pilotes pour régler "ses" moteurs (pas des hélices, richesse, pompe carburant, volets de refroidissement...), mais aussi pour s'occuper des volets et du train dont les commandes n'étaient pas très accessibles de la place pilote. Ce dernier ne touchait donc pratiquement jamais les manettes des gaz (sauf en cas d'incident au décollage) et le mécanicien répondait à ses demandes...Bref, le DC-4 se pilotait en famille et demandait une bonne communication entre les membres de l'équipage (au nombre de cinq : pilote, copilote, mécanicien, radio et navigateur).

 Bien que le DC-4-1009 soit censé ne pas avoir de porte cargo, on constate néanmoins que ceux du film en ont tous une qui se dédouble, comme sur le C-54. Vu l'annulation des commandes de l'Armée en 1945, plusieurs cellules de C-54 déjà fabriquées, furent reconverties sur les chaînes en DC-4 pour le marché civil ...

 Enfin, on entraperçoit deux Lockheed Constellation L049, dont un, devant la nouvelle aérogare d'Orly. Cet appareil devait assurer, dès 1947, la relève des DC-4 sur les lignes transocéaniques.

 

 Christian Santoir

 *Film disponible sur amazon.fr

 

 

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