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AU GRAND BALCON



AU GRAND BALCON

 

Année : 1949
Pays : France
Genre : Drame
Durée : 2 h 03
Noir et blanc

Réalisateur: Henri Decoin
Scénario et dialogues : Joseph Kessel, Marcel Rivet

Acteurs principaux : 

Pierre Fresnay (Carbot), Georges Marchal (Jean Fabien), Robert Arnoux (Vuillemin), Paul Azaïs (Morel), André Bervil (Triolet), Pierre Cressoy(Charlier), Janine Crispin (Maryse), Suzanne Dehelly (Mlle Françoise), Arsenio Freignac (Le lieutenant espagnol), Manuel Gary (Goupil), Jean Gaven (Belfort), Émile Genevois (Contact), Abel Jacquin (Darbouin), Germaine Michel (Mlle Adeline)

 

Directeur de la photographie : Nicolas RAYER
Musique : Joseph KOSMA
Production : Raymond BORDERIE - CICC
Conseiller technique aviation : Commandant Henry Cormouls

Avions :

  • - Breguet 14. A2, F-ABHR
  • - Caudron 128/2, F-AJMS
  • - Latécoère 298
  • - Morane Saulnier 315, F-BCNS
  • - Morane Saulnier AI, au sol

 

Notre avis ::

Ce film retrace les débuts de l’aéropostale avec la société des Lignes Aériennes de Pierre Georges Latécoère, en 1920, jusqu’à la première traversée de l’Atlantique sud, Dakar-Natal, par Mermoz, Dabry et Gimié, le 13 mai 1930. Il est dans la lignée des films sur le courrier aérien comme « Airmail » (1932) de John Ford, "Only angels have wings" (1939) d’Howard Hawks , « Blaze of noon » (1947) de John Farrow, et surtout « Night flight » (1933) de Clarence Brown, d’après le livre de Saint Exupéry : « Vol de nuit ». Ce film est centré sur l’héroïsme conjugué au quotidien par les pilotes. Ici, aucune intrigue amoureuse, on y trouve des femmes, mais derrière les hommes, en appui discret de leur action. Joseph Kessel s’était intéressé à l’aéropostale dès 1927. Il était allé jusqu’au cap Juby (Tarfaya), étant sans doute le premier passager de l’aéropostale. Ses écrits ont grandement contribué à répandre la légende de « la Ligne » auprès du grand public.

 Le scénario tourne autour de deux hommes, deux caractères forts : Carbot et Fabien. Carbot, le chef du service exploitation, c’est Didier Daurat, Fabien le pilote talentueux, « bouffeur d’horizons », c’est Mermoz. Les autres personnages s‘inspirent de pilotes ayant existé. Carbot/Daurat est un homme dur qui ne plaisante jamais, mais qui est un remarquable meneur d’hommes ; fin psychologue, il sait juger du premier coup d’œil un homme à sa juste valeur. Son objectif : « faire du courrier un dieu pour ses hommes ». Pour cela, il faut transformer une bande de jeunes pilotes, issus pour la plupart de l’Armée, en « pilotes de ligne », volant par tous les temps, en respectant des horaires réguliers. Chaque vol dans la tempête ou au dessus des sables, dans un avion en bois et en toile, muni d’un moteur peu fiable, est un exploit. Cela ne va d’ailleurs pas sans casse, humaine et matérielle, et tout cela pour quelques lettres ! Certains pilotent préféreront démissionner. D’autres se couvriront de gloire comme Mermoz, Guillaumet, Saint Exupéry dont la renommée dure encore aujourd’hui.

Henri Decoin (1890-1969) avait appris à piloter pendant la première guerre mondiale et son intérêt pour l'aviation lui fit tourner deux films  sur ce sujet ; en 1933, LES BLEUS DU CIEL, qui était son deuxième film, interprété par Albert Préjean et Blanche Montel, son épouse à l'époque, puis, après la guerre, Au grand balcon. Au début, la voix de Pierre Fresnais précise que ce film n’est pas une chronique et qu’il ne vise pas à relater l’histoire de la Ligne mais a pour but de « ressusciter, fixer la démarche, l’atmosphère, l’esprit d’une entreprise publique ». Le scénario s’inspire directement du livre de Kessel : « Mermoz » paru en 1937. Kessel, ancien pilote de la grande guerre, scénariste de l’ « Equipage » (1935), était l’ami du fameux pilote. Le titre Au grand balcon est le nom de la pension de famille où se sont installés les « facteurs » volants de l'aéropostale. Cette pension était dirigée non par deux demoiselles, mais par trois. Elle finit par n’être fréquentée que par des pilotes et des mécaniciens. Aujourd’hui, c’est un hôtel, situé à proximité de la place du Capitole, à Toulouse. Le fana d’aviation peut y demander la chambre de Mermoz, comme à « l’Hôtel de la Poste », à Saint Louis du Sénégal.

 L’affrontement entre Carbot/Daurat et Fabien/Mermoz n’a pas grand chose à voir avec la réalité, par contre la scène de l’engagement de Mermoz est authentique (bien qu’il ne vola qu’après un passage à l’atelier de mécanique); de même, la scène où Carbot assure le courrier alors qu’aucun pilote ne veut voler vu le mauvais temps. Daurat n’était pas qu’un gestionnaire, c’était aussi un pilote confirmé. Il avait commandé en mai 1919, l’escadrille 87 où avait servi un certain William Wellman. Dès septembre 1919, il effectue le premier vol régulier entre Toulouse et Rabat. Nommé chef d’exploitation des lignes Latécoère le 1° octobre 1920, il développe la Ligne non pas vers l’Espagne et le Maroc, mais vers le Sénégal. Quant à Mermoz, il est breveté pilote militaire en février1921 et n’est donc pas un as de la grande guerre comme Fabien. Mais, en poste en Syrie, il avait l’expérience du vol en milieu désertique. Il est embauché par Daurat en octobre 1924. A cette époque, la ligne s’étend déjà jusqu’à Dakar, atteint le 6 mai 1923; la ligne Casablanca-Dakar est officiellement ouverte le 1° janvier 1925. Mermoz y est affecté, mais il ne fut jamais chef d’aéroplace à Cap Juby. Enfin, dernier détail, la mention de l’assurance qui ne paie pas de prime si on ne retrouve pas le corps du pilote, est empruntée à l’histoire de Guillaumet dans les Andes.

 L’épisode saharien est très succinctement évoqué. Mermoz séjourna à plusieurs reprises en 1926-1927, à Cap Juby qui était un pénitencier espagnol. Le mécano qui sombre dans l’alcool, le cabaret espagnol, les barbelés entourant le fort et l’insécurité la nuit venue, sont tirés de Kessel. Mais rien sur les pannes dans le désert, les pilotes captifs des Maures (dont Mermoz sera) et qu’il faut leur racheter. Les Espagnols ne cherchaient pas à contrôler le Rio de Oro ce qui en faisait un refuge pour les tribus dissidentes de la Mauritanie française. Le rôle des Maures était ambigu. Les aviateurs qui tombaient représentaient pour les pillards Rguéïbat une nouvelle source de revenus, alors que plus au sud, les goums français restreignaient leurs « activités ». Autour des postes, les autres Maures pouvaient trouver du travail chez les Européens; à l’Aéropostale, ils étaient manoeuvres, cuistots, mais aussi interprètes qui accompagnaient les pilotes dans leurs avions ; leur présence en sauva plus d’un.

La traversée de l’Atlantique sud eut lieu alors que la ligne était déjà installée en Amérique latine, mais le courrier était transporté à travers l’Atlantique par des avisos. Entre temps (avril 1927), la Compagnie Générale d’Entreprises Aéronautiques de Latécoère était devenue la Compagnie Générale Aéropostale, créée par Marcel Bouilloux-Laffont. Dabry, le navigateur, n’était pas un ancien pilote de l’Aéropostale atteint par la limite d’âge  comme montré dans le film (où il s’appelle Darbouin) ; il intégra la Ligne comme marin ! Capitaine au long cours, il commandait une vedette de sauvetage en Méditerranée. Il fut choisi par Daurat sur la base de ses compétences en navigation. Daurat accompagnera Mermoz, Dabry et Gimié jusqu’à Saint Louis.

 Au grand balcon est un classique du film d’aviation. Il est servi par des acteurs excellents et se regarde sans ennui, malgré la brièveté des scènes aériennes. Pour la suite de l’histoire de la Ligne, en Amérique du sud, il faut se reporter à « Night Flight » (1933) que Decoin avait sans doute vu. Ce film introduit un personnage absent ici : la femme du pilote. Didier Daurat confiera plus tard, qu’en définitive, il eut plus de difficultés avec les épouses qu’avec les pilotes eux-mêmes ; c’est dire l’importance du « sujet »…

 

Les avions du film :

 Au début du film, en guise d’introduction, on assiste à un balai de DC-4 d’Air France (F-BBDI/BBDE/BELD) dont certains se retrouveront dans Horizons sans fin; il y a également un Lockheed 749 Constellation (F-BAZK) et, au milieu de ce défilé aérien, le monument aux morts de l’Aéropostale situé à Dakar-Ouakam.

Le Constellation avait été livré à Air France le 22 March 1948, puis loué Air Inter en mai 1961. En mars 1962, il fut immatriculé CN-CCM au nom de Royal Air Maroc. Retiré du service et stocké à Casablanca en janvier1964, l'avion fut ferraillé plus tard.

 Lors du tournage, aucun Latécoère de l’époque n’existait encore, mais un Breguet 14. A2 (F-ABHR) construit par Latécoère  en 1920 et ayant appartenu à la CGEA, avait survécu ; il fut équipé d'un moteur Renault neuf. Dans une scène, il s’envole comme F-ABHR, puis pique comme F-BAHR et se crashe en tant que F-ABUD ! Tour de passe-passe dont le cinéma a le secret..

 Seul avion Latécoère disponible, un 298, hydravion que l’on voit décoller de la base école des pilotes d’hydravions d’Hourtin ; l’Aéronavale en avait encore quelques uns en activité en 1950. Celui là serait le n° 99 qui fut le dernier Latécoère 298 en état de vol dans la Marine, où il servait à des fins de propagande dans des manifestations aéronautiques. Il fut réformé en 1951. Cet hydravion torpilleur (qui n’a jamais torpillé quoique ce soit) est là pour remplacer le Laté 28-3 « Comte de la Vaux » (F-AJNQ). Ce dernier avait décollé de l’étang de Berre, puis avant le grand saut, avait pris son envol sur le fleuve Sénégal, à partir de l’hydrobase de la Langue de Barbarie, au sud de Saint Louis. Rappelons qu’une réplique volante du Laté 28-3 fut construite en 1980 par Claude Rousseau, pour un feuilleton télé : « L’Aéropostale, courrier du ciel » de Gilles Grangier, diffusé sur FR3.

 Autres avions : un Morane Saulnier 315 (F-BCNS), appelé le « Courrier de Barcelone » de la société Morane-Saulnier (détruit en février 1965) ; au sol, un Morane Saulnier AI, un ex chasseur devenu avion d’entraînement et de voltige, et un Caudron 128/2 (F-AJMS, appartenant à un particulier) de 1925 ; tous ces avions n’ont jamais transporté de courrier, mais les deux deniers sont contemporains de l’Aéropostale.

 

Christian Santoir

 *Film disponible sur amazon.fr

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