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FOKKER D.VII

 Le FOKKER D.VII

Le numéro "Hun" des écrans de cinéma

 

Après la première guerre mondiale, l'Allemagne dut livrer aux vainqueurs mille sept cent avions, au premier rang desquels tous les bombardiers de nuit, et tous les Fokker D.VII, dont les pilotes alliés avaient appris à se méfier, au point que ce chasseur fut le seul avion à être mentionné nommément dans les clauses du Traité de Versailles ! Mais tous les Fokker ne furent pas livrés. Certains retournèrent en Allemagne, pour y être stockés par leurs pilotes dans des lieux sûrs, d'autres furent volontairement accidentés. D'autres prirent clandestinement le chemin de la Suède, de la Suisse, ou du Danemark. Anthony Fokker, un homme plein de ressources, avait réussi à évacuer vers son pays natal, environ quatre cent moteurs et cent vingt cellules de la Fokker Flugzeug-Werke, ce qui lui permit de démarrer une nouvelle entreprise aux Pays-Bas. Dans les années vingt, le Fokker D.VII devint le chasseur standard de l'aviation néerlandaise. L’armée belge récupéra à la fin de la guerre, trente cinq Fokker D.VII qui restèrent en service jusqu’en 1931 dans les unités d’entraînement. La Suisse acheta huit Fokker auprès de la Commission de Contrôle alliée, et en fabriqua six autres sous  licence.

Entre 1918 et 1919, cent quarante deux Fokker D.VII furent expédiés aux Etats-Unis où ils furent l'objet de nombreux essais, avec différents moteurs. Ces essais furent effectués en partie par l'Engineering Division de McCook Field (Dayton). D'autres servirent d'avions d'entraînement au sein de l'USAAS. Le 94th Pursuit Squadron de Selfridge Field (Michigan) fut une des dernières escadrilles à utiliser ce type d'appareil. Mais à partir de 1922, les D.VII furent peu à peu réformés et vendus à des particuliers. Comme l'immatriculation des avions civils n'intervint aux USA qu'au début des années vingt, il est difficile de dire combien finirent sur le marché. Treize Fokker reçurent une immatriculation civile. Les moteurs Mercedes et BMW d'origine commençant à rendre l'âme, on les remplaça pas des moteurs américains Hall Scott L6 en ligne, et des Hispano Suiza V8 (Hisso), construits sous licence par Wright. Les conversions en biplaces étaient fréquentes; on enlevait alors le réservoir situé devant le pilote, pour le placer sous le siège du passager ou dans l'aile supérieure. A la fin de la guerre, Fokker avait sorti une version biplace du D.VII, mais le réservoir principal était situé dans le petit plan entre les roues, avec un réservoir auxiliaire entre les deux cockpits. La découpe du bord de fuite de l'aile supérieure devait aussi être accentuée pour permettre au passager, situé à l'avant, de prendre place. Quelques uns de ces Fokker civils parvinrent à Hollywood où ils participèrent à plusieurs tournages.

 


Fig. 1. Des Fokker D.VII dans « Hell’s angels » (1930) (Extrai de film)..

 Le film "Wings" de William Wellman fut tourné en 1926 avec la collaboration de l'US Army Air Service qui fournit des Thomas Morse MB-3 et des Curtiss P-1, ces derniers jouant les avions allemands. Mais on utilisa aussi deux vrais D.VII que Frank Tomick acheta dans les environs de Long Beach et de Los Angeles, pour 3 500 et 2 000 $, respectivement. L'un avait été transformé en biplace avec un moteur Hall Scott, et, pour le film, la place avant fut occultée par une plaque amovible. Un réservoir, plus petit, fut repositionné dans l'aile supérieure (Fig.1), ce qui évitait au pilote d'être arrosé d'essence en cas de choc frontal ou de retournement.

 

 Fig.2. Franck Tomick prenant place à bord d'un Fokker D.VII
biplace modifié © Franck Tomick


L'autre Fokker équipé également d'un moteur Hall Scott, et peint de couleur claire, devait être détruit par Dick Grace. Selon le scénario, il devait décoller alors qu'un avion était supposé le descendre juste à ce moment là... Les jambes du train et une partie de la structure des ailes furent sciées, pour rendre la scène plus spectaculaire, mais c'était sans compter sur la robustesse de la machine. Grace encaissa tout le choc au moment de l'impact et se fractura les vertèbres cervicales, ce Fokker étant dépourvu d'appui tête, comme les modèles d'origine (mais on remarque qu’il était équipé d’une caméra fixée sur le fuselage et d’un hélice métallique).. Grace confiera plus tard qu'il n'aimait pas beaucoup le Fokker. En onze vol avec cet avion, il avait dû faire huit atterrissages forcés .

 

Fig. 3. le Fokker de Dick Grace accidenté dans "Wings" © W. Wellman Jr. Coll

Un an après "Wings", dans "Captain Swagger", une petite production de E. H.Griffith, le héros, Rod La Rocque, descend avec son SPAD, le Fokker D.VII du baron von Stahl, ce dogfight constituant la seule scène aérienne du film.

 Quand Howard Hughes commença à travailler sur "Hell's Angels" en 1927, ses agents cherchèrent à acquérir tous les avions de la première guerre mondiale qu'ils pourraient trouver. Mais ils  ne purent réunir, entre autres, que cinq Fokker D.VII (et non 7 ou 8, comme signalé parfois) (Fig.4). 

 

Fig.4. Les cinq Fokker D.VII d' « Hell's Angels ».

Ils provenaient de San Antonio (TX), San Francisco, et Los Angeles. Il y avait parmi eux deux biplaces, dont un muni d'un appui-tête (Fig.1). Trois avions étaient équipés de moteurs Hall Scott L6, et deux, de Hispano Suiza. Un des ces D.VII (s/n 10347/18) avait été construit par Fokker et livré après l'armistice de 1918. Il avait été réformé par l'USAAS en 1926. Vendu à un viticulteur californien qui l'avait converti en biplace, avec un moteur Hall Scott, il était enregistré sous le numéro 1178. En 1927, il fut acheté par Dewey Ward d'Alameda, qui fit partie des 75 pilotes employés par la production. Un autre D.VII (s/n 6516/18) construit par O.A.W (Ostdeuschen Albatros Werken), venait des surplus de la base de McCook où il avait été acquis en 1921 par Otto Timm. Il le transforma en biplace avec un moteur Hisso. Il participa ensuite à des courses, et reçut le matricule N3764, avant d'être loué pour le film, où il servit parfois d'avion camera piloté par Frank Clarke, le chef pilote de la production. Ce dernier connaissait bien le Fokker D.VII, puisqu'il en pilotait déjà un, au début des années 1920, quand il représentait les moteurs Hall Scott à Venice (CA). Pour faire leur promotion, il se produisait avec cet appareil dans les meetings de la région, et avait même établi un record de vitesse entre Venice et San Francisco, en trois heures et quarante minutes. Mais le propriétaire de cet appareil est inconnu.

 

 Fig.5. Fokker D.VII biplace à moteur Hall Scott.
© Robert Neal/Peter Bowers
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Ces avions étaient en général plutôt fatigués. Roy Wilson se retourna avec l'un d'eux, suite à la rupture d'un hauban de train. Quant à Al Wilson, il dut sauter de son Fokker D.VII, en plein brouillard, quand l'hélice se sépara du moteur ! Son avion s'écrasa dans le centre d'Hollywood, dans la cour du producteur Joe Schenk. Ces avions furent transformés par Otto Timm avec l'installation de fausses mitrailleuses sur le capot avant, et d'un réservoir dans l'aile supérieure, quand ils en n'étaient pas déjà équipés. Sur un Fokker Hisso, on voit que le fuselage arrière a été renforcé par des câbles, et que la commande des ailerons passe sur l'extrados de l'aile. Les Fokker furent mis à rude épreuve; l'un d'entre eux dépassa les 4 00 heures de vol, tandis que le Fokker de Frank Clarke changea cinq fois de moteur ! La décoration des Fokker était plutôt fantaisiste : peints uniformément en noir avec des marquages blancs et des croix de Malte, que, seul, le prototype porta. En outre, les roues rayonnées n'étaient pas munis de leur entoilage. Lors de la première du film, un D.VII fut juché au dessus de l'entrée du Grauman Chinese Theatre, pour accueillir les spectateurs.

Ces avions devaient continuer à travailler pour Hollywood. Otto Timm reconditionna un D.VII biplace pour "West point of the air", en 1935. Dans le film, c'était un avion civil (NC46Y) fort délabré, piloté par Wallace Beery. Mais, on ne le voit pas voler, et il finit au fond d'une rivière…

En 1936, pour "Men with wings" de William Wellman, Paul Mantz retrouva le Fokker d'Otto Timm stocké dans un garage de Los Angeles et le restaura pour 7 00 $. Maquiller des Travel Air 4000 en Fokker revenait moins cher. Cet avion peint en rouge, était piloté par Franck Clarke et faillit s'écraser quand il accrocha le Garland Lincoln de Mantz, lors d'un dogfight. Il fut brûlé lors du tournage. C'est en 1939, dans "Stunt pilot" de George Wagner, que l'on aperçoit pour la dernière fois, au sol, un vrai Fokker D.VII. Cet avion, de couleur claire à moteur Hall Scott, est sans doute l'avion de Paul Mantz.

En Europe aussi, on utilisa de vrais Fokker D.VII dans les films d'avant guerre. En 1935, Anatole Litvak tourna l'"Equipage". Avec quelques difficultés, il finit par trouver des Fokker en Belgique, où les forces aériennes l'avaient employé comme avion d'entraînement avant de les revendre à des civils. Il put ainsi acheter trois appareils qu'il fit restaurer. En Allemagne, en 1939, le film de propagande nazie "Pour le Mérite" utilisa deux Fokker.D.VII. Cet avion était déjà devenu très rare, même en Allemagne, et on dut utiliser les deux seuls exemplaires conservés au Deutsche Luftfahrtsammlung de Berlin. Encore faut-il préciser qu'un des deux avait été cédé par la Suisse au musée de Berlin, et convoyé en vol de Dübendorf, par Ernst Udet, le 31 décembre 1936.

Après 1939, on ne voit plus de vrais Fokker sur les écrans, et un film comme le remake de "Dawn patrol" en 1938, n'utilisa que ses doublures, les "Wichita Fokker". Pour les scènes aériennes, on inséra des extraits de "Hell's 'Angels" (Army surgeon", 1942) ou de "Men with wings" ("Captain Eddie"-1945, "Lafayette escadrille"-1958.). Les films sur la première guerre mondiale qui redevinrent à la mode à la fin des années soixante ("Le crépuscule des aigles", "Le baron rouge", "Le tigre du ciel") employèrent des répliques de D.VII, construites souvent à partir de Stampe ou de Tiger Moth, et que l'on retrouva d'un film à l'autre. Mais construire de bonnes répliques coûte trop cher, prend trop de temps, et les faire voler comporte trop de risques pour les pilotes (d'où des primes d'assurance très élevées). Les films les plus récents font ainsi l'impasse sur les répliques, et sont passés directement à l'image de synthèse, ce qui permet de se payer toute un escadrille de (faux) Fokker, pour pas trop cher.

Seuls deux Fokker D.VII ayant eu une carrière au cinéma, survivent aujourd'hui. Celui de D. Ward (s/n 10347 / 18) était parqué, vers 1976, dans un coin du petit terrain de Meadow Lark Field, près de San Francisco, sans moteur, le fuselage désentoilé et l'aile supérieure endommagée. Peu après, ses propriétaires, Jim Mathiesen et J. Nissen, qui l'avaient racheté à Ward, le cédèrent à la Canadian National Aeronautical Collection d'Ottawa. Depuis, le fuselage a été restauré avec un nouveau train d’atterrissage ; le radiateur et le capot moteur ont été refaits à neuf. Une hélice fut donnée par un collectionneur, et l'université du Manitoba fit don en 1975, d'un moteur Mercedes D.IIIa qui équipait le modèle original.

Le second est l'ancien Fokker de Paul Mantz qui vola jusqu'en 1963, au sein de la Tallmantz collection, avec le matricule N4729V (Fig.6). L'identité de cet avion n'est pas claire; serait-il le 7748 / 18, comme généralement admis, ou le 436 / 18 (Wkn.2523), selon des recherches récentes, ce qui en ferait un des plus vieux Fokker existants ?

 

Fig.6. Fokker D.VII à moteur Hisso de P. Mantz
décoré comme un avion d'Ernst Udet

 Il fut vendu en 1966 à la Rosen Novak Auto Co, puis en 1968, à l'Aeroflex museum de New-York pour 20 000 $. Il fut racheté en 1981 par la compagnie Fokker pour 50 000 $ et transporté, un an plus tard, au Militaire Luchtvaart Museum de Soesterberg, au Pays Bas. Il y fut entièrement reconstruit avec un moteur Mercedes DIIIa, et exposé sous les couleurs d'un avion (n° 266) des forces aériennes néerlandaises entre 1920 et 1935.

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Sur les écrans de cinéma, le Fokker D.VII symbolise l'avion allemand de la première guerre mondiale, avec ses grandes croix de Malte noires anachroniques, et son radiateur en forme de cercueil. Il personnifia pour plusieurs générations de jeunes spectateurs, le méchant, le "Hun" (l'équivalent de "Boche", en Français). Aujourd'hui, il connaît toujours un grand succès auprès des constructeurs amateurs, et près d'une vingtaine de répliques volent aux Etats-Unis, alors que de nombreuses autres sont en construction. Si le D.VII ne bénéficia pas de l'aura du célèbre baron von Richthofen, il fut piloté par des as comme Ernst Udet, Hermann Goering... Mais plus que de ces personnages historiques, les aérocinéphiles se souviendront toujours du Leutnant von Bruen, alias Frank Clarke, dans "Hell's angels", aux commandes d'un Fokker noir, fondant sur les Nieuport, ses mitrailleuses Spandau crachant le feu…

 

Filmographie du Fokker D.VII (hors répliques) :

  • 1927    Wings (Paramount)
  • 1928    Captain Swagger (Pathe)
  • 1930    Hell's angels. (UA)
  • 1935    L'Equipage (Pathe-Nathan)
  • 1935    West point of the air (MGM)
  • 1938    Men with wings.(Paramount)
  • 1938    Pour le Mérite ( UFA)
  • 1939    Stunt pilot (Mono)

Bibliographie :

  • -IMRIE Alex. [1986]. "Fokker fighters of World War One". London, Arms & Armour Press Ltd., 64 p.
  • -OWERS Colin. -[2008] "The Fokker D.VII in US Service". in Skyways, n°86, pp. 18-25
  • -RIMMEL Tay [1990] "World War One survivors". Bourne End, Aston Publications,160 p
  • -WOODMAN Harry. [2000]. "Fokker film stars !". in : Fokker D.VII anthology vol.2, Berkhamsted, Albatros Productions Ltd. pp. 58-61
  • -WYNE Hugh H. [1987] "The motion picture stunt pilots. "Missoula, Pictorial Histories Publishing Co., 184 p.

Sites Internet :

-www.aerofiles.info
-www.aerialvisuals.ca
-www.theaerodrome.com

 

Christian Santoir

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