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PEREGON


 

  

PEREGON

Vo. Перегон

(Transfert)

 

 

 

Année : 2006

Pays : Russie

Genre : drame

Durée : 2 h 05 min.

Couleur

 

Réalisateur : Aleksandr ROGOZHKIN

Scénario : Aleksandr ROGOZHKIN

Acteurs principaux :

Aleksey SEREBRYAKOV.(Capitaine Yurchenko), Daniil STRAKHOV (Capitaine Lisnevsky), Anastasya NEMOLYAYEVA (Irina Zareva), Svetlana STROGANOVA (Valentina), Jurij ICKOV (Svist), Stepan ABRAMOV (Fitil), Gennady ALEKSEEV (Wilson).

Musique : Dmitri PAVLOV

Photographie : Sergei ASTAKHOV, Andrei ZHEGALOV

Producteur : Sergei SELYANOV

Compagnie productrice : Kinokompaniya CTB


Avions :

  • Bell P-39 Airacobra, maquettes éch. 1/1
  • Lisunov Li-2
  • Yak-52


Notre avis :

Ce film ressuscite une histoire oubliée, surtout en ex-URSS, celle du programme "Lend Lease" (Prêt-Bail) mis en place par les USA pour aider ses alliés pendant la dernière guerre. Il fournit à l'URSS, après son invasion par l'Allemagne, en 1941, de nombreux avions en tout genre, alors que les usines soviétiques n'en produisaient pas en quantité suffisante, l'industrie aéronautique ayant été désorganisée par l'attaque allemande. Cet aide que les Soviétiques eurent toujours du mal à reconnaître, en diminuant son impact sur la victoire finale, leur permit néanmoins de recevoir, par des voies diverses, 19.287 avions (bombardiers, chasseurs, avions d'entraînement…) en plus des livraisons d'armes, de véhicules, de locomotives, de matières premières, de denrées alimentaires, de carburant, de bateaux de guerre, sans oublier plus de quinze millions de paires de bottes.…

L'acheminement des avions par convoi maritime étant jugé peu sûr, du fait de la menace sous-marine, les USA et l'URSS mirent sur pied la route aérienne ALSIB (Alaska-Siberia Route) à laquelle fait allusion le film. Les pilotes convoyeurs de l'Air Transport Command qui comprenaient des femmes des WASP (Women Air force Service Pilots), prenaient livraison des avions dans les usines et les emmenaient à Great Falls dans le Montana. Puis ils continuaient, à travers le Canada, vers l'Alaska. Là, les pilotes soviétiques, réceptionnaient les avions à Fairbanks-Ladd Field et les convoyaient en URSS, à travers le détroit de Behring, vers Uelkal, Markovo, Siemchan, Yakutsk, Kirensk, Krasnoyarsk et Novosibirsk.

Le réalisateur Rogozhkin ne prétend pas écrire l'histoire, ni même la réécrire, mais il la transforme, pour mieux servir son mélodrame. Ce très (trop) long film n'est pas un film sur l'aide américaine, ni un film de guerre, la guerre ne servant ici que de repaire historique. Le cadre est un petit terrain d'aviation au milieu de nulle part, une simple escale sur une longue route qui conduit des immenses usines aéronautiques américaines, bien loin à l'est, et les champs de bataille du front russe, tout aussi loin à l'ouest. Des personnages venus d'horizons géographiques et sociaux très divers s'y rencontrent, ce qui donne lieu à des situations cocasses, parfois tragiques. C'est l'étude de cette humanité confinée qui intéresse principalement le réalisateur.

Il y a d'abord les Tchouktches, des esquimaux autochtones, sur lesquels ouvre et se termine le film. Ils étaient là avant tout le monde et ont du mal à comprendre ce qui agite les hommes blancs :"On tire sur un animal pour le manger et faire des habits et des bateaux avec sa peau; mais pourquoi tirer sur un homme, alors qu'on ne va pas le manger ?" se demande l'un d'eux… Leur naïveté et la simplicité de leur mode de vie font des Tchouktches la cible des plaisanteries russes. Le passage d'avions nombreux à basse altitude perturbe aussi leurs chasses. Mais la base aérienne emploie quelques un d'entre eux, comme aide mécanicien ou conducteur du véhicule d'incendie, ce qui prouve qu'ils ne sont pas si rebelles au progrès; le jeune Tchouktche Vassili parle quelques mots d'Anglais, le détroit de Behring n'étant pas une frontière, pour son peuple.

Dans le pays tchouktche, débarquent des pilotes américains qui, au grand étonnement des soldats soviétiques, s'avèrent être de jeunes et jolies femmes. Elles amènent avec elles leur façons décontractées, la musique de jazz et n'hésitent pas à flirter avec les pilotes russes.

Les Russes de la base forment un condensé de la société soviétique de l'époque. Il y a les pilotes convoyeurs présentés comme des jeunes recrues, tout juste sortis des écoles de pilotage; le commandant de l'aérodrome, Thomas Ilitch Yurchenko, un homme violent, un alcoolique qui traite sa servante, Valentina, comme une esclave; Irina, son ex épouse, qui est interprète mais aussi bibliothécaire; le capitaine Linensky, un bel officier qui est son amant; un prisonnier politique, accusé d'espionnage, Ivan Yakovlevich, un neurochirurgien qui s'occupe de l'infirmerie; un autre prisonnier, ingénieur aéronautique, Roman Denissovitch Romodanovsky, accusé de sabotage, qui fait office de cuisinier... Tout ces gens se connaissent bien et intriguent les uns contre les autres. Yurchenko finira assassiné. L'enquêteur du NKVD, Gutsava, soupçonnera Lisensky, mais sans preuve formelle et vu l'utilité de cette homme sur place, il préférera le laisser tranquille. Quant à la pauvre Valentina, après la guerre, elle préférera vivre chez les Tchouktches, avec le fils que lui a fait Yurchenko…

Ce film est une réflexion sur la société soviétique et sur l'idée ancienne du "nouvel Homme soviétique" qui resta un mythe. Pour le réalisateur Rogozhkin, l'idéologie soviétique n'a pas forgé une nouvelle identité, et dans ce bout de territoire sibérien, loin de tout, le communisme n'a pas prise sur la société traditionnelle tchouktche, contrairement à ce que le film "Aerograd" (1935) semblait prétendre. Le changement d'identité est avant tout une affaire personnelle.

Ce film est aussi une sorte de négatif de la réalité. Le premier aéroport en URSS, en venant de l'Alaska, était celui de Uelkal, situé au bord du détroit de Behring, en pays tchouktche, et c'est sans doute de celui-ci que s'est inspiré le scénariste. Mais la prise en charge des avions américains ne se faisait pas sur le sol russe, mais aux USA, en Alaska, sur la base de Ladd Field (Fairbanks). De 1942 à 1945, cette base fut le point de transfert officiel où les appareils américains étaient livrés aux Soviétiques Il y eut là environ 300 soviétiques, ingénieurs techniciens, interprètes, sans compter les pilotes convoyeurs. Parmi les pilotes et les interprètes il y avait des femmes. Les Soviétiques évoluaient à Fairbanks en toute liberté, faisaient leurs courses en ville (cigarettes, parfums, lingerie féminine…), et fréquentaient les bars. Mais les officiers russes veillaient à ce qu'il n'y ait pas trop de "fraternisation" entre capitalistes et communistes... A l'inverse de leurs hôtes, les Russes ne permirent jamais aucune présence américaine en Sibérie. En outre, les femmes des WASP, convoyaient les avions seulement  jusqu'à Great Falls, dans le Montana. La présence de femmes pilotes américaines en Sibérie est donc de la fiction, contrairement à celle des femmes pilotes russes en Alaska. On ne sait si les jeunes Tchouktches sibériens, parlaient un peu l'Anglais, comme dans le film, mais, les Soviétiques à Fairbanks pouvaient communiquer avec quelques vieux Aléoutes qui parlaient encore russe, l'Alaska ayant fait partie de l'empire russe jusqu'en 1865.

Le tournage eut lieu dans le village d'Osinovets sur les bords du lac Ladoga, mais aussi dans le nord de la péninsule de Kola et dans la région de Novgorod, où fut construit le terrain d'aviation militaire.

"Peregon" n'est pas, on l'aura compris, un film d'aviation, même si les principaux personnages de ce psychodrame sont des aviateurs, vivant sur une base aérienne. L'avion est présent, mais seulement comme un indispensable décor.

 

Les avions du film :

Le film est centré sur un seul type d'avions, le Bell P-39 Airacobra. Cet avion constitua effectivement l'avion le plus demandé par les Soviétiques et les Américains leur en fournirent 4.423 de tout modèle, un chiffre inférieur aux demandes...Cet avion mal aimé des pilotes britanniques et américains, fit la joie des pilotes soviétiques dont certains devinrent des as grâce à lui (Aleksandr Pokryshkin, Grigoriy Rechkalov..). Ils lui donnèrent des surnoms affectueux : Kobrushka ou Kobrastochka (petit cobra), Lastochka (hirondelle)… Ils appréciaient surtout sa puissance de feu, la qualité de ses équipements (dont la fiabilité de la radio) et son cockpit chauffé (un luxe dont ne disposait aucun avion russe), bien que l'Airacobra nécessitât un pilotage pointu (avec une très mauvaise vrille, due à son moteur arrière). Il est donc normal que le film ait choisi ce type particulier, très rare au cinéma.

Mais les avions qui volent par groupes de deux ou trois, au dessus du terrain, sont des Yak-52 à train tricycle (comme le P-39) pilotés par des membres de l'aéroclub de Sosnovy, près de Leningrad. Ces appareils furent peint en camouflage deux tons, avec un serial jaune sur la dérive et l'étoile américaine peinte en rouge. On en voit un atterrir de dos (pour cacher son gros moteur en étoile).

Deux maquettes grandeur réelle de Bell P-39 Airacobra furent construites à Novgorod. Elle sont assez bien faites dans l'ensemble, mais le dessin de la dérive, pas assez arrondie, est mal rendu. Sur le bord d'attaque des ailes, on note l'absence des entrées d'air du radiateur d'huile et des mitrailleuses. Plusieurs petits détails sont faux, à commencer par les serials de dérive totalement fictifs (23507, 27943, 18473…); le stencil, en avant de la porte gauche : "US Army Air Force P-39LT serial 39L 415612", est erroné. Il n'y eut pas de "P-39LT", mais des P-39L model 26B. Le P-39L était un P-39K muni d'une hélice Curtiss Electric, mais la maquette du film est équipée d'une hélice Aeroproducts (dont le logo est bien reproduit sur les pales, avec un stencil non conforme). Très peu de P-39L furent livrés aux Soviétiques (137 exemplaires), contrairement au P-39Q (3.291 exemplaires). Enfin les P-39 n'étaient pas livrés avec un camouflage deux tons vert et gris; ils étaient uniformément peints en olive drab avec dessous gris clair. Bref, on est au cinéma…

Pour le convoyage, les P-39 avaient, sous le fuselage, un gros réservoir auxiliaire et une antenne de radio compas, bien que leurs formations soient habituellement guidées par un bombardier qui assurait la navigation.

On a recours à l'imagerie de synthèse pour montrer les P-39 en vol, revêtus d'étoiles américaines peintes en rouge (sur fond bleu) avec les deux rectangles blanc à bords bleu de chaque coté (donc, avions livrés après septembre 1943), qui étaient normalement effacées. En réalité, les insignes soviétiques étaient peintes à Ladd Field,  puis elles le furent directement à l'usine de Niagara Falls.

Un Lisunov Li-2, peint comme un Douglas C-47 américain avec un serial 315509, pour une fois correct (le 43-15509 est un vrai C-47A), mais avec des bandes blanches et noires du Débarquement de Normandie, totalement anachroniques ! C'est dans cette livrée que le vrai 43-15509 qui a survécu, est actuellement exposé à l'Imperial War Museum de Duxford en Angleterre… On le voit  aussi avec une décoration soviétique portant  le numéro de série authentique "4681". Cet ancien appareil de l'Aeroflot (CCCP-L4681), puis de la VVS, est conservé au musée "Doroga zhizni" (La route de la vie), à Osinovets, depuis 1970.

 

Christian Santoir

 *Film disponible surhttps://ok.ru/video/

 

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