PILOTE DU DIABLE
Vo. Chain Lightning
Pays : USA
Durée : 1 h 34 min
Genre : Drame
Noir et blanc
Histoire originale : "These many years" de Lester Cole
Acteurs principaux :
Humphrey Bogart (Lieutenant
colonel Matthew "Matt" Brennan), Eleanor Parker (Joan "Jo" Holloway), Raymond Massey (Leland Willis) Richard Whorf (Carl Troxell), James Brown (Major. Hinkle), Roy Roberts (Genéral Hewitt), Morris Ankrum (Ed Bostwick), Fay Baker (Mrs. Willis), Fred Sherman (Jeb Farley)
Photographie : Ernest HALLER
Producteur : Anthony WEILER
Scènes aériennes : Paul MANTZ
Compagnie productrice : Warner Bros
Avions :
- Boeing B-17F, N67974
- "JA-3" maquette éch. 1/1
- Lockheed F-80C-10-LO, en arrière-plan
- North American F-86A
- Stinson 108-2, NC907D
Notre avis :
En 1950, les avions à réaction étaient un phénomène relativement récent et leur apparition offrit de nouvelles possibilités aux films d’aviation. Ce film s’inspire des essais des avions fusées effectués à la fin des années quarante, et on y fait référence au vol transsonique de Chuck Yeager en 1947. L’avion du film, le Willis « JA-3 » est un mélange de Bell X-1 et de Douglas Skyrocket. Ces avions étaient des appareils expérimentaux destinés à explorer les vitesses supersoniques, et n’étaient pas destinés à devenir des appareils militaires bien que l’USAF et la Navy finançassent les essais. Si le sujet est nouveau, le scénario du film ressemble fort à un ancien film d’Humphrey Bogart, « China clipper » (1936), à part quelques détails. Dans les deux films, Bogey est un ancien pilote militaire devenu pilote d’essai. Raymond Massey joue le rôle du constructeur Willis, un rôle tenu dans l’autre film par Pat O’Brien. Les deux hommes sont de fortes personnalités qui placent leur travail au dessus de tout et exercent une forte pression sur leur entourage. La seul différence est le triangle amoureux entre Bogey, Jo et l’ingénieur Troxell, qui n’existe pas dans « China clipper ».
Le personnage central est Matt Brennan un ancien pilote de bombardier qui dirige, après la guerre, une petite école de pilotage jusqu’au jour où une élève casse son seul et unique avion !. Lors d’une soirée, il fait la connaissance de Willis, un constructeur d’avion dont la secrétaire n’est autre que Jo, une de ses anciennes petites amies qu’il avait connue en Angleterre, pendant la guerre, alors qu’elle était infirmière. Willis embauche Matt, à court d’argent, comme pilote d’essai pour tester un nouveau jet susceptible d’être vendu à l’USAF. Cet avion se distingue par un système d’éjection du pilote original; au lieu de sortir de l’appareil, le pilote reste à l’intérieur du cockpit qui se détache de l’avion et descend au sol suspendu à un immense parachute. Mais le temps presse, et Willis demande à Matt d’essayer le nouveau jet sur une longue distance, entre l’Alaska et Washington, en passant par dessus le pole Nord, afin d’impressionner ses futurs clients. Moyennant un gros chèque, Matt effectue le vol et bat tous les records de vitesse et de distance, bien qu’il atterrisse à Washington à court de carburant.. Mais quand l’ingénieur Troxell essaye la capsule d’éjection lors d’un vol réel, il se tue. Matt se sent un peu responsable de sa mort et décide de poursuivre les essais de cette invention révolutionnaire. Arrive le jour du test final. Matt s’envole et atteint une grande altitude avant d’actionner la commande de séparation de la cabine. Tout fonctionne à merveille cette fois-ci, et la capsule atterrit doucement au bout de son parachute. Willis peut maintenant signer le contrat tant attendu et Matt, son contrat de mariage avec Jo.
Le cockpit éjectable du JA-3 est très en avance sur son temps. Certes, dès 1947, le Douglas D-558 Skyrocket était équipé d’une pointe avant éjectable stabilisée par parachute, d’où le pilote devait s’extraire avant d’ouvrir son propre parachute. Mais ce système s’avérera peu fiable et même dangereux, comme l’expérimentera Apt en 1956, sur le Bell X-2 ; le nez de l’avion se sépara bien et son parachute s’ouvrit, mais ses oscillations furent telles que le pilote perdit connaissance et s’écrasa au sol. Dans le système du JA-3, le pilote arrive au sol dans « un fauteuil », sans quitter le module d’éjection.. Cette technologie ne sera essayée que sur le General Dynamics F-111 Ardvark en…1967, et sur le Rockwell B-1A, en 1974, avec le même manque de fiabilité. On remarquera d’ailleurs que, dans le film, le module de Brennan atterrit sur le coté ! Les performances du JA-4 sont également très en avance sur son temps. Le 18 février 1950, lors de la sortie du film, le Bell X-1 a volé à 21 600 mètres et à Mach 1,24. Le JA-4 vole à mach 2, une vitesse qui ne sera égalée qu’en 1953 par Scott Crossfield sur le Douglas Skyrocket, et à une altitude de 27 000 mètres, altitude atteinte seulement en 1954 par Murray sur le Bell X-1A (record non officiel). Par contre, la tenue de vol de Bogart apparaît des plus désuètes, voire plutôt comique. Avec son casque en cuir, style joueur de foot ball américain (un Spalding modèle 1918) et son habit en caoutchouc Goodrich Type XH-5, modèle 1943, Bogart a un faux air de martien ! Notons que cette combinaison, qui normalement était complétée par un dôme en plexiglas, ne fut jamais mise en service car elle gênait les mouvements quand elle était pressurisée. Par contre, le pantalon anti G type G3, que l’on voit Bogart enfiler, fut standardisé à partir de 1944 et n’était donc pas nouveau en 1950.
Le film comporte d’autres invraisemblances, comme Bogart volant à 27 000 mètres dans une pluie de météorites. Sur le tableau de bord, on repère un cadran qui donne la «vitesse sol », une valeur que les instruments de l’époque ne donnait pas, et devait être reconstituée par calcul. Le concept de l’avion fusée n’eut pas d’avenir dans l’Armée. A l’époque, c’était le seul appareil capable d’atteindre une grande altitude dans un minimum de temps, pour aller chercher les bombardiers soviétiques arrivant par l’Alaska. Mais les avions fusées des années cinquante, comme ceux des années quarante, avaient une trop faible autonomie.
Ce film n’est pas un grand film d’aviation avec un scénario assez fantaisiste et des dialogues parfois franchement comiques. Même le titre français est bizarre ; que diable, vient faire le « diable » dans cette histoire ? Bogart y force son personnage de pilote macho rudoyant ses proches. Coté avion, la seule vedette est la maquette grandeur nature du JA-3.
Les avions du film :
Le JA-3 fut en réalité construit par Paul Mantz pour 15.000 dollars, à partir d’un Bell Airacobra dont on reconnaît le train d’atterrissage. Mantz l’essaya au roulage, sur la piste de Van Nuys propulsé par une fusée JATO, ce qui était risqué. Il dispose d’un fuselage à large verrière comme le X-1, ou le Douglas Skyrocket premier genre, d’une aile et d’un empennage en flèche comme ce dernier. Il est propulsé par fusée, trois dans le fuselage et deux en appoint dans des pods éjectables, placés sous les ailes. Il décolle du sol comme un Me 163, et ne dispose pas de réacteur d’appoint (pas de prise d’air). Aucun avion de l’époque ne correspondait à ce modèle, la plupart des avions-fusées étant largués en altitude par un avion porteur. Quand le film fut projeté à la base d’Edwards devant Chuck Yeager, Peter Everest et Al Boyd, tout le monde explosa de rire en voyant le jet de Mantz. Dans une scène, on peut même voir le câble attaché à la roue avant de l’appareil, destiné à le tirer le long de la piste ! En l’air, l’avion est doublé par un North American F-86A dont on peut apprécier le taux de roulis.
Le tournage utilisa néanmoins de vrais avions. Au début, on voit un beau Stinson 108-2, malencontreusement cassé par une débutante, sur le Metropolitan airport de Los Angeles. Cet avion, immatriculé "NC907D" (c/n 108-2907), vraisemblablement rouge, existe toujours dans l'état de Washington. On le reverra dans "Borderline" (1950).
Au Lockheed Air Terminal de Burbank, où Mantz avait sa société et où il garait la plupart de ses avions, on voit le B-17F qu’il avait acheté en février 1946 au dépôt de l’USAAF de Stillwater (Oklahoma). L’avion ne vole pas et est filmé uniquement au sol. Cet appareil (s/n 42-3360) apparu déjà dans « Command decison » en 1948, ne reçut un certificat de navigabilité qu’en 1950, juste avant que Mantz ne le revende à Owen Williams, avec l’immatriculation N67974. Williams était le directeur des California-Atlantic Airways et possédait de nombreux B-17. L’avion de Mantz fut revendu en Bolivie (CB-70 puis CP-570) et détruit en septembre 1955 dans un crash. Dans le film, il joue le rôle de la Forteresse « Naughty Nellie », dont la pin-up est identique à celle du célèbre « Memphis Belle ». Notons que « Naughty Nellie » est agressée par un Me 163 vu de loin ; il fait plusieurs passes sur le B-17, ce qui est fort peu probable vu les quatre minutes de fonctionnement de son moteur fusée ! D’autres B-17 sont vus sur des films d’époque montrant les bombardiers de la 8th Air Force en Angleterre, vers 1943. On y voit le B-17E (s/n 41-9125) à l’atterrissage, et un autre B-17 atterrissant sur une roue puis continuant sur le ventre. Le film utilise aussi une brève séquence de « Les plus belles années de notre vie » (1946) montrant des rangées de B-17 dans le parc de stockage de la base d’Ontario (CA) à la fin la guerre.
A l’usine Lockheed, Bogart marche devant une rangée de Lockheed F-80C-10-LO attendant leur livraison. On remarquera le F-80C avec le buzz number: FT-500 (s/n 49-500 ). A la fin de 1950, cet appareil sera un des premiers jets à opérer en Corée, à partir de la base de Taegu (K-2) ; c’était la monture du commandant du 49th Fighter Bomber Wing, le colonel Stanton T. Smith. Cet avion sera abattu le 24 août 1951 par la DCA.
Enfin, toujours en arrière plan, sur un parking, on aperçoit quatre Douglas C-47 de l'USAF.
Christian Santoir
*Film disponible sur amazon.fr
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