CHARLES NUNGESSER
(1892-1927)
Une étoile filante du cinéma
Après la guerre, il se produit dans divers meetings à travers la France. En 1920, il fonde Nungesser-Aviation, une société qui fait du transport à la demande et propose un circuit aérien des champs de bataille, ou la reconstitution nocturne de la défense de Paris contre les Gothas. Il inventa un nouveau concept qui remplaçait les habituelles acrobaties qui commençaient à lasser le public des meetings, par des simulacres de combat, bref, par de vrais spectacles aériens, tels qu'on les connaît aujourd'hui.
Sur proposition du sous-secrétaire d'État à l'Aviation, Etienne Flandin, Nungesser ouvre une école de pilotage à Orly. Ce type d'école privée, avait pour but premier de fournir à l'aviation militaire, un personnel déjà initié au pilotage lors de son incorporation. Mais cette école ne lui rapporta guère, et l'école dut fermer en mai 1922.
Toujours à court d'argent, Nungesser saisit une occasion d'aller aux Etats-Unis, en acceptant l'offre de l'American Legion, pour faire de la propagande d'aviation. Il devait, en plus de conférences, reproduire dans plusieurs villes américaines, une bataille aérienne avec ses camarades Weiss et Bellot. Nungesser nous décrit la scène : "Un monoplace attaquait un avion d'observation protégé par un appareil de chasse.../… c'était tout une série d'acrobaties passionnantes; des mitrailleuses -des vraies- dissimulées dans un coin du terrain, pétaradaient à six cents coups à la minute.../… brusquement, l'avion de reconnaissance basculait dans les airs, s'entourait de flammes, de fumée noire, rouge et jaune, et semblait s'abattre vers le sol, suivi quelques secondes plus tard, par la chute vertigineuse en vrille du second adversaire, également entouré d'un torrent de fumée sinistre". Il part avec six appareils, des monoplaces de chasse et des biplaces de tourisme, dont un Hanriot HD.1, un Potez et un Nieuport 10. Mais Nungesser ne fait pas que des meetings aux Etats-Unis. Le 28 juillet 1923, il se marie à New York, avec une américaine rencontrée en France, Consuelo Hatmaker (Saint Exupéry, huit ans plus tard se mariera lui aussi, avec une Consuelo..), une fille de la haute société new-yorkaise.
A la fin de l'année 1923, Nungesser et ses amis se produisent à La Havane. C'est sur ce terrain, qu'il rencontre un jour, l'équipe de tournage du film "The bandolero" (1924) de Tom Terris. Il promène les actrices en avion, pendant que l'on filme ses évolutions. Quelque temps plus tard, le producteur lui propose de tourner un film dont il sera la vedette. Ce n'était pas la première fois qu'on faisait une pareille proposition à un pilote vétéran. En 1918, l'as américain Bert Hall avait tourné dans "Romance of the air". Charles Nungesser n'était certes pas un acteur, mais son nom était fait pour attirer les foules. Quelques semaines plus tard, de retour à New York, alléché par un cachet substantiel, il signe le contrat, et le tournage commence dans un studio new-yorkais, ainsi qu' à Roosevelt Field (Long Island). Ce film dirigé par Hayes Hunter, s'appelle "The sky raider" et son scénario est librement inspiré du roman "The great air mail robbery" de Jack Lait, qui avait déjà signé le scénario de "The great air robbery", en 1919. Charles Nungesser conservait dans le film son nom, son grade et ses victoires. Il y avait pour partenaire Jacqueline Logan. L'action se passe pendant la première guerre mondiale, en France et aux Etats-Unis, et mêle espionnage, amour et trahison. Pour le tournage, on utilisa le Nieuport 10 et le Hanriot HD.1 (N5934, c/n 1398) que Nungesser pilota devant les caméras. On sacrifia un Curtiss Jenny. Les "Allemands" pilotaient des Thomas-Morse S4-C revêtus de croix noires. Sur l'affiche, Nungesser est présenté comme le "le plus grand as vivant", ce qui était inexact; il y avait René Fonck en France, et Ernst Udet en Allemagne, qui avaient chacun beaucoup plus de victoires (75 et 62 respectivement).
© 2003 HeritageComics.com
Le film sortit à New York, le 5 avril 1925, en présence de Nungesser, qui fut ovationné par lesspectateurs. Il sortit également en France, sous le titre de "Le vainqueur du ciel", et il n'y déplaça pas les foules... Nungesser insista auprès de son impresario pour que, dans chaque ville où le film passait, il donnât, à un heure fixée, et annoncée par les journaux, une reproduction analogue de la bataille qui paraissait à l'écran. En six mois, selon ses dires, toute l'Amérique du Nord, de New York à San Francisco, en passant par Washington, Toledo, Detroit, Salt Lake, avait vu les avions à cocardes tricolores évoluer sur la toile, et aussi dans son ciel.
Fig.2. Nungesser et son Hanriot, dans
"The sky raider"
© Les grands spectacles cinématographiques
La réputation et la vie de Charles Nungesser contribuèrent à créer l'image de l'as de la Grande Guerre, sur les écrans de cinéma : un homme élégant, menant grand train, insouciant du lendemain et grand noceur. On racontait que, pendant la guerre, Nungesser arrivait parfois à la base, à l'aube, en smoking, au bras d'une femme en robe du soir, et qu'on devait l'aider pour monter dans son avion ! Tout cela faisait partie de sa légende dont se repaissait l'imagination populaire. En 1928, on retrouvera ce genre de personnage dans le Hugh Drumond, de "Captain Swagger" (capitaine crâneur !), et mieux encore, en 1936, dans le René Charville de "Suzy", joué par Cary Grant. Plus près de nous, il y a du Nungesser dans le Jo Cavalier de l"As des as"(1986), joué par Jean-Paul Belmondo. La reconstitution des combats aériens de la Grande Guerre dans les fêtes foraines aux Etats-Unis, comme en organisait Nungesser, est montrée dans plusieurs films américains d'avant guerre, dont "Flying devils" (1933), "Sky Parade" (1936), et "Mystery plane" (1939). Nungesser fit aussi beaucoup pour la renommée des ailes françaises aux Etats-Unis où on n'oubliait pas que l'aviation militaire américaine était née en France, avec du matériel français, et où les aviateurs français passaient pour les meilleurs du monde. L'éclipse totale survint avec notre défaite de 1940, et à partir de cette date, les films d'aviation américains ne font plus référence à la France, à l'exception du film de W. Wellman "Lafayette escadrille" (1954), une exception qui confirme la règle.
Aujourd'hui, le film de Charles Nungesser a disparu, comme 90 % des films muets, mais il subsiste, paradoxalement, des témoins de son aventure cinématographique. Les deux avions de Nungesser, utilisés dans le film "The sky raider", existent toujours aux Etats-Unis, où ils sont conservés comme de précieuses reliques. Quand Nungesser retourna en France, il laissa son Hanriot HD.1 à la garde de A. J. Montee, à Clover Field (Santa Monica). Après sa disparition en mai 1927, A. Montee le vendit à James Granger, qui l'utilisa pour des exhibitions dans des meetings locaux, jusqu'en 1933, date à laquelle l'avion fut remisé. On l'exposait parfois dans les cinémas, pour faire la publicité de films d'aviation, comme "Men with wings" (1939). Il fut revendu, en 1951, au Claremount Air Museum, et restauré avec l'emblème de Nungesser. Il porte le numéro constructeur 1398. Il est actuellement exposé au Planes of Fame museum de Chino (CA) avec des couleurs américaines sur le gouvernail.. Précisons que Nungesser ne combattit jamais sur ce type d 'avion, rejeté par les Français, mais adopté par les Suisses, les Belges et les Italiens.
Fig.3 Hanriot HD.1 au musée Planes of Fame de
Chino.
Son gouvernail porte un drapeau américain et non français
Fig.3 Hanriot HD.1 au musée Planes of Fame de
Chino.
Son gouvernail porte un drapeau américain et non français
Sur ces deux avions, frappés de l'insigne sinistre de Charles Nungesser, plane toujours l'ombre du "Hussard de la Mors"...
Christian Santoir
Bibliographie sommaire :
- -GRAS Philippe [2008] "Le hussard de la mort. Charles Nungesser" in Fana de l'Aviation n° 463 : 50-61.
- -JULIAN Marcel [1971] "Nungesser. L'as des as". Paris, éd. Presses Pocket, 254 p.
- -MARIEL Pierre [1926] "Le vainqueur du ciel". Paris, Cinéma-bibliothèque n°134, éd. Jules Tallandier, 94 p.
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