LA NUIT EST A NOUS
Année : 1953 Pays : France Durée : 1 h 25 min. Genre : Drame Couleur |
Réalisateur : Jean STELLI
Scénario :Henry KISTEMAECKERS, François CHALAIS
Acteurs principaux :
Simone RENANT (Françoise
Clozat), Jean DANET (Alain Brécourt), Virginia KELLY (Diana), Jean DEBUCOURT
(Besagne), Jean MURAT (Le colonel), Paul BARGE (le mécanicien), Jean BERTON
(le docteur).
Photographie : Nicolas HAYER
Musique : René SYLVIANO
Producteur : Henri VENDRESSE
Compagnie productrice : Compagnie Nouvelle du Cinéma (Paris)
Avions :
- - Dassault MD.452 Mystère II
- - Junkers Ju-88 A-4, A-17
- - Nord 1401 "Noroit", en arrière plan
Notre avis :
Comme le premier film du même titre, sorti en 1929, celui ci est une adaptation de la pièce de Henry Kistemaeckers. L'héroïne de la pièce, au lieu d'être pilote de voiture de course, est ici devenue pilote d'essais. Jean Murat, un spécialiste des films d'aviation français depuis "l'Autre aile" (1924), en passant par "L'équipage" (1928) et "Les aventuriers de l'air" (1950), tourna dans les deux films, passant du rôle d'amant à celui de chef de service, vingt quatre ans plus tard.
Ce film sortit dans les salles françaises le 14 mai 1953, à une époque où la France remettait en marche son industrie aéronautique et alors que les Anglo-Saxons avaient pris une avance considérable en matière de cellule, de moteurs ou d'équipements, grâce à la guerre. L'aviation était donc à la mode en France et on compte pas moins de quatre films d'aviation tournés entre 1950 et 1953 ("Les aventuriers de l'air", "Les mécanos de l'air", "Horizons sans fin", "Deux de l'escadrille"), un engouement qui, hélas, fit long feu…Dans le générique, on précise que "les scènes d'aviation ont été réalisées grâce au bienveillant concours du Secrétariat d'Etat à l'Air et à la grande obligeance des avions Marcel Dassault".
"La nuit est à nous" a donc pour personnage central une femme pilote d'essais, un personnage plutôt rare, même de nos jours. La première femme au monde à accéder à cette fonction sera Jacqueline Auriol qui sera brevetée de l'EPNER en 1955 (brevet n° 176). Au moment du tournage, en 1952-1953, elle était déjà présente au CEV de Brétigny s/Orge, grâce à son talent et à ses relations (elle était la belle fille du président de la République, Vincent Auriol). L'héroïne du film qui a pour ami un ancien de Normandie-Niemen et qui est en compétition avec une Américaine, "June Mac Lee", pour le record de vitesse féminin, rappelle inévitablement Jacqueline Auriol. Elle eut pour moniteur un pilote du Normandie-Niemen (Jacques André) et, le 11 mai 1951, elle battit sur Mistral, le record du monde de vitesse féminin détenu par l'Américaine Jacqueline Cochran, qui lui reprendra dix jours plus tard et que la Française récupérera, temporairement, en mai 1955... Le film fait allusion à cette "guerre des Jacqueline" qui passionnait les journaux, des deux cotés de l'Atlantique.
L'histoire commence au "Centre Avions à Réaction", près de Paris, où Françoise Clauzat procède aux essais du RB.122W, le nouveau prototype du constructeur Besagne. Elle rencontre Alain Brécourt, un ancien de Normandie Niémen, un ami du chef des essais, le colonel Gribaldi. Brécourt pense qu'une femme n'est pas à sa place dans un cockpit, mais peu à peu, il est séduit par Françoise. Ayant découvert qu'il est à la recherche d'un emploi de pilote, elle intervient auprès de Besagne pour le faire embaucher, mais ce dernier lui apprend que Brécourt ne peut plus piloter, depuis un accident grave survenu en Russie, pendant la guerre…Françoise continue cependant à revoir Alain sans rien lui dire. Devenue sa maîtresse, elle décide d'abandonner la compétition qui l'oppose à son homologue américaine, June Mac Lee, et qui fait la une de tous les journaux. Elle revient cependant sur sa décision, au grand soulagement de son directeur, pour faire une dernière tentative. C'est alors qu'elle apprend qu'Alain est marié à une Américaine ! D'abord désespérée, elle reçoit de telles assurances d'Alain que cette union n'est rien pour lui, qu'elle se reprend à espérer. Perturbée, elle rate sa tentative de record et pense même à se suicider. Une rencontre avec la femme de Brécourt lui laisse entendre qu'Alain lui a menti. Françoise, ne voulant plus le revoir, reprend alors les essais du RB.122. Lors d'un vol, son inhalateur d'oxygène tombe en panne et elle s'évanouit à haute altitude; elle ne reprend connaissance que pour redresser l'appareil à proximité du sol et atterrir. A l'infirmerie de la base, quand elle rouvre les yeux, Alain, qui a cru qu'elle voulait se suicider, est à ses cotés. Ils ne se quitteront plus.
Curieusement, la scène finale reproduit assez exactement ce qui arrivera à Jacqueline Auriol, en octobre 1956, mais pour une cause différente. Son Mystère IV s'était mis en vrille, suite à un blocage du plan fixe. Elle perdit un instant connaissance et ne put stopper la vrille mortelle qu'au ras du sol.
Le film montre qu'à l'époque, les pilotes étaient suivis en vol par la tour, à laquelle il transmettait les paramètres de l'appareil testé. On souligne dans le film, qu'entre les essais sur banc et les essais en vol il y avait une énorme différence, et qu'on ne savait jamais ce que le pilote allait découvrir là-haut. Aujourd'hui, on fait d'abord voler l'avion sur ordinateur, avant de le confier à un équipage qui n'a plus à risquer sa vie. Le côté "sportif" et aventurier du pilote d'essai a bel et bien disparu, au grand dam du cinéma, même si le premier vol d'un nouvel avion est toujours un événement.
Le film a été tourné au Centre Aéronautique de Melun-Villaroche, appelé "C.A.R." (Centre Avions à Réaction..) dans le film. Seule, la tour de contrôle a changé depuis 1953, mais les grands hangars, dont celui du CEV, sont toujours là. En 1953, plusieurs entreprises aéronautiques (dont Dassault, la Société Nationale de Constructions Aéronautiques du Nord, mais aussi l'Arsenal de l'Aéronautique…) avaient installé des ateliers sur le site, permettant l'assemblage ou la modification des prototypes. Elles pouvaient ainsi y effectuer des vols d'essais ou encore assurer l'entraînement de leurs pilotes.
Ce mélodrame, totalement oublié, n'a d'intérêt que pour son témoignage d'une époque marquant le "redécollage" de l'industrie aéronautique française avec, entre autres, un constructeur comme Dassault, dont le succès ne fera que s'accroître lors des décennies suivantes. A part une maquette, tous les avions sont vrais, certains ayant totalement disparu depuis.
Les avions du film :
Le seul avion ayant participé au tournage, le "Besagne RB.122W", est en réalité un Dassault MD.452 Mystère II, le premier jet français à passer le mur du son (28 octobre 1952). Il est appelé, plus tard, "Javelot RB.134", quand Françoise veut battre le record de vitesse en circuit fermé. L'avion est filmé à partir du sol (roulage, atterrissage, décollage); en vol, il est remplacé par une maquette dont le fuselage ressemble plus à celui d'un Ouragan…
L'avion du film, malgré son numéro "01" sur le nez, n'est pas le premier prototype qui vola à Istres le 23 février 1951, mais sans doute un des prototypes suivants. Ce pourrait être le Mystère II MD.452-03 (train avant "Ouragan 2° version", dérive sans arête dorsale et au sommet "carré", armement en place mais avec les goulottes des deux canons obturées par une plaque, trappes d'entrée d'air additionnelle du réacteur Rolls Royce "Tay" ouvertes lors des bas régime…). C'est lui qui passa pour la première fois le mur du son, en France. Le nom de "Mystère II" a été effacé sur le nez, mais on voit encore les quatre étoiles qui encadraient ce nom. Le prototype 01 était équipé d'un turboréacteur Rolls-Royce Nene; les deux autres prototypes volèrent avec un réacteur Rolls-Royce Tay (un Nene avec post combustion), des moteurs que l'on aperçoit dans l'atelier. On voit également, dehors, un Mystère équipé d'un moteur Atar 101, comme le prototype n° 04, ainsi que le Mystère II n° 06, détruit en mai 1953 à Mimizan.
Dans un hangar, l'Ouragan MD.450 Atar 01 (avec lettre A sur la dérive), voisine avec le Mystère IV 01 (premier vol, le 28 septembre 1952) qui ne se distinguait guère du Mystère II.
Sur le tarmac, devant le hangar militaire, on aperçoit trois amphibies Nord 1401 "Noroit" (premier vol, le 6 janvier 1949) de l'Aéronavale. Cet appareil raté fit de nombreux essais à Villaroche entre 1950 et 1954. A leur coté, on voit un Nord 2500 "Noratlas" (premier vol, le 10 septembre 1949) qui, lui, fut au contraire, une vraie réussite.
Il y a aussi deux AAB (Junkers Ju.88 construits par les Ateliers Aéronautiques de Boulogne) gris clair, un A-4 (n° 73) et un A-17 (n° 8). En 1951, de nombreux Ju.88 étaient en service au CEV, la plupart à l'EPNER, puis au CEAM. Suite à des pannes de plus en plus fréquentes, ils furent retirés du service en 1952. Seul, l'Arsenal de l'Aéronautique continua à les faire voler en devenant le dernier organisme au monde à employer cet avion. Les n° 8 et 73, prêtés à Arsenal, servaient au lancement d'engins et ne furent réformés qu'en 1955. Des dizaines de Ju.88 de différents modèles (chasse, bombardement, torpillage) ont été utilisés pour des expérimentations diverses, mais aucun n'a trouvé le chemin du Musée de l'Air…
Parmi les avions de servitude, on reconnaît un Morane MS.500 Criquet, à moteur Argus en ligne, et un MS.502, à moteur Salmson en étoile, sans oublier l'incontournable Douglas DC-3 tout alu. Bien que son matricule soit peu lisible, ce pourrait être le C-47B "F-BEIJ" (c/n 32554, s/n 44-76222) appartenant alors aux usines Dassault. Après avoir servi dans la RAF (KN302), il avait été acheté en 1951, à la compagnie "Avions Bleus", basée à Perpignan, qui l'avait transformé en DC-3B. Il fut cédé au CEV (F-ZADA) avant d'être ferraillé à Brétigny s/Orge, en 1962.
Dans le bureau du directeur Besagne, il y a beaucoup de maquettes dont celles d'un hélicoptère Hiller 360, d'un Breguet 760 "Deux Ponts", du SO-6021 "Espadon"…; sur le mur, on voit des photos : Hawker "Hunter", Hawker "Sea Hawk", Fouga CM-8R "Sylphe" I…
Christian Santoir
*Film très rare
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