Manfred von RICHTHOFEN
Le grand du cirque
Les quelques témoignages fournis par ses compagnons de combat, ainsi que par lui-même, permettent de cerner sa personnalité. Von Richthofen était un homme réservé, plutôt froid et ne se déridant qu’avec ses rares amis. Il fuyait les réceptions et les beuveries de ses camarades pilotes. De son éducation prussienne et militaire, il avait conservé un goût prononcé pour la discipline et l’étiquette militaire. Comme tout hobereau, il aimait l’équitation, les animaux et la chasse où il se révélait excellent tireur. Il vivait simplement ; « sa vie au front consiste à voler, dormir et manger », écrira Ernst Udet. Son escadrille n’habitait pas comme les autres, dans des châteaux loin du front, mais dans des baraques démontables, à moins de dix minutes de la ligne de feu. Il ne montrait pas facilement ses sentiments et on ne lui connaît aucune liaison féminine. Sans être un meneur d’homme, von Richthofen inspire le respect et l’admiration chez les hommes de son escadrille qu’il a lui-même choisis. Il s’occupe personnellement de leur formation. Mais, comme le signale le pilote von Schoenebeck, il était impitoyable vis à vis de ceux qui ne suivaient pas ses directives ; au retour de mission, il inspectait les avions, et malheur à celui qui ramenait un empennage troué ! « L’escadrille entière est un corps soumis à sa volonté » dira Udet.
Manfred Albrecht, Freiherr (baron) von Richthofen est né le
2 mai 1892 à Breslau, Silésie, dans une famille de petite noblesse. Elevé à la
prussienne, le jeune Manfred entre à onze ans à l’école de cadets de Wahlstatt,
puis à l’école supérieure des cadets de Berlin-Lichterfelde. Officier de
cavalerie en 1911, il est affecté au 1° régiment de Uhlans « Kaiser
Alexandre III ». A la déclaration de la guerre, d’abord stationné à l’Est,
son régiment est envoyé en Belgique. Mais les tâches de la cavalerie sont de
plus en plus confiées à une nouvelle arme, l’aviation, et le lieutenant von Richthofen sollicite son
transfert dans les troupes aériennes. Fin mai 1915, il suit une formation
d’observateur à Cologne. De juin à août 1915, il est affecté sur le front
russe, puis à Ostende, dans une des premières escadrilles de bombardement
équipées de bimoteurs. Un jour, il rencontre le grand as Boelcke et ils
sympathisent. Il n’a alors qu’une ambition : devenir pilote de chasse. Il
entre à l’école de Döberitz où il obtient son brevet à la Noël 1915. Après
plusieurs allers et retours entre les fronts Est et Ouest, il finit par être
recruté par Boelcke pour combattre avec
lui, dans la Somme.
« A partir de ce
jour, commencèrent les plus beaux jours de ma vie » dira le baron. Le
17 septembre 1916, il remporte sa première victoire contre un Anglais. La Somme
est « l’Eldorado » des chasseurs, le gibier anglais est abondant. Le 18 octobre, Boelcke se tue
dans une collision avec un de ses équipiers. Von Richthofen est orphelin, mais
les leçons du « Meister » ont bien été retenues. Il descend
une onzième victime le 23 novembre, le major Lanoe Hawker qu’il appelle le
« Immelman anglais ». Après sa seizième victoire, le 16 janvier 1917,
il reçoit l’ordre « Pour le Mérite » ; il est alors le pilote
allemand vivant, qui a le plus de victoires et on lui confie le commandement de
la Jasta 11, basée à Douai.
Manfred n’est pas un pilote né ; il abhorre les
acrobaties et les interdit à ses hommes. En fait, il déclare peu avant sa mort
que son principal but dans la vie n’est pas le pilotage, auquel il
préfère l’équitation, mais le combat aérien qui l’excite au plus haut point, et
qu’il considère comme une partie de chasse. Son avion n’est qu’une plateforme
de tir. Von Richthofen est un tacticien qui applique les règles édictées par
Boelcke, en les portant à leur perfection.
Il fait alors peindre son Albatros tout en rouge, appareil qui
sera bientôt connu des Français et des Anglais, comme le « petit
rouge ». Cette couleur rouge sang sera à l’origine de la légende du
« Baron rouge ». Elle permet à von Richthofen de se faire identifier
par ses coéquipiers, mais aussi par les troupes au sol qui tirent sur tout ce
qui vole, et dont le témoignage sert à valider les victoires. C’est aussi une
bravade et un moyen d’impressionner l’adversaire. Les Anglais pensèrent un
moment que seule une jeune fille, sorte de Jeanne d’Arc germaine, pouvait piloter
un appareil décoré de façon si incongrue ! Par la suite, la couleur rouge devint
le signe de reconnaissance de la Jasta 11, et les coéquipiers de von
Richthofen se mirent à décorer leurs avions de façon voyante, au
point que l’avion du baron devint difficile à repérer dans la mêlée. Les
journaux allemands avaient en effet répandu le bruit que les Anglais avait créé
une escadrille
pour descendre le baron, ce qui était faux, mais rehaussait sa
gloire.
La presse allemande amplifia les prouesses de von Richthofen au point que la population finit par lui vouer un véritable culte. Le baron soignait lui-même sa publicité et faisait distribuer partout sa photo dédicacée. Udet dira qu’une photo du baron inspirait partout le respect, au front comme dans les tavernes. Les pilotes Anglais ont beaucoup fait également pour sa renommée en insistant sur son attitude chevaleresque. Le Baron était un tueur « correct » qui savait se montrer généreux à l’occasion, et aimait à discuter avec ses victimes, quand elles en avaient encore la possibilité…
Peu après sa 38° victoire, en mars 1917, il est nommé Rittmeister (capitaine de cavalerie, son arme d’origine). Il rivalise alors d’ardeur avec la Jasta 2 composée des élèves de son ami défunt, Boelcke. Pour la dépasser, Ses pilotes font jusqu’à cinq missions par jour, et volent par tous les temps. Tout dépend selon lui, des adversaires rencontrés « ces roublards de Français ou ces impudentes canailles, les Anglais », qu’il préférait..
Au cours du mois d’avril 1917 de sinistre mémoire, surnommé par les Anglais, l’ « avril sanglant », von Richthofen abat vingt avions. Les Allemands mettent alors en l’air des grandes formations d’une douzaine ou d’une quinzaine d’avions. Les Anglais parlent alors du «Richthofen circus » ou du «Flying circus» (cirque volant ), terme jamais employé par les Allemands. Plus tard, il sera appliqué à tout le Geschswader 1. Notons que les escadrilles allemandes, contrairement aux anglaises, se déplacaient avec tout leur échelon roulant dans des trains et que sur les terrains avancés, avions et matériels étaient abrités sous des tentes. Quand on considère le bariolage des avions, les tentes en guise de hangars et les déménagements fréquents de l’escadrille, il est normal que les plaisantins du Royal Flying Corps lui aient donné le nom de "cirque".
Le 16 juillet 1917, le baron
est descendu par la DCA, avec une blessure grave à la tête. A moitié guéri, il
reprend le combat mais souffre de nausées et de migraines persistantes. Bien
que devenu une gloire nationale, indispensable au bon moral du peuple, il
refuse une affectation à l’arrière. En octobre, il touche un nouvel avion, un
Fokker Dr1. Le Fokker triplan sera son avion emblématique bien qu’il n’ait
remporté que 19 victoires avec lui (en sept mois). Assez peu rapide, le Dr1
était un avion très agile et qui grimpait bien, idéal pour le dogfight (combat tournoyant).
Le 21 avril 1918, au-dessus
de la Somme, il rencontre un groupe de Camel du squadron canadien 209.
Alors qu’il poursuit un adversaire à basse
altitude, un Camel piloté par Roy Brown pique sur lui à grande vitesse et tire
avant de dégager; mais le Fokker continue son vol qui le conduit à proximité
d’une batterie australienne qui le salue au passage de plusieurs rafales. Von
Richthofen réussit à poser son Fokker, mais il fauche son train et sa tête
heurte une culasse de mitrailleuse. Quand les soldats accourent, il est mourant
ou déjà mort. Les examens médicaux trouveront qu’il a été atteint d’une seule
balle entrée par le côté droit et ressortie sous le sein gauche, tirée de bas
en haut, donc très vraisemblablement par un tir venu du sol. La RAF, pour
redorer son blason, attribuera néanmoins la victoire à Brown. Les Anglais
enterreront le baron avec les honneurs militaires.
L’Allemagne ne l’oubliera pas, et en novembre 1925, la dépouille de von Richthofen fut inhumée en grande pompe au cimetière des Invalides à Berlin. Dix ans plus tard, le régime nazi commémorait sa mort avec faste. Sa tombe était gardée par des aviateurs du nouveau groupe de chasse JG. 132 « Richthofen ». Son autobiographie, soigneusement expurgée, ainsi que le journal de sa mère Kuningunde, étaient édités avec une préface de Göring. Après avoir servi la propagande impériale, Richthofen servait désormais la propagande nazie. Aujourd’hui, la légende du baron est toujours bien vivante. La polémique continue ; qui l’a tué ? a-t-il été victime d’un piège tendu par les Anglais ? les séquelles de sa blessure ou l’usure des combats furent-elles à l’origine de sa moindre vigilance ? Pendant longtemps encore, on entendra parler du Baron rouge.
Christian Santoir
Bibliographie sommaire:
- RICHTHOFEN, Rittmeister Manfred Freiherr von, [1933]. « Der rote Kampflieger » Berlin, Ullstein, 265 p.
- RICHTHOFEN, Kunigunde Freifrau von, [1937] « Mein Kriegstagebuch. Die Erinnerungen der Mutter des roten Kampffliegers». Mit einem Geleitwort von Genarloberst Göring. Berlin, Ullstein. 196 p..,
- TITLER Dale [1972] « Le dernier jour du Baron rouge». Paris, France Empire, 333 p.
- UDET Ernst. [1955] «Ma vie et mes vols, L'Aventure Vécue», Flammarion, 1955, 201 p
- ICARE [1991] « Le Baron Rouge », Paris, n°139, 117 p.
- ICARE [1992] « Le Baron Rouge », Paris, n°142, 144 p.
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