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PROSTYE LYOUDI

 

  

 

PROSTYE LYOUDI

Vo. Простые люди
(Des gens ordinaires)

 

Année :1945
Pays : URSS
Genre : mélodrame
Durée : 1 h 14 min.
Noir et blanc

Réalisateurs : Leonid TRAUBERG, Grigory KOZINTSEV
Scénario : Leonid TRAUBERG

Acteurs principaux : :
Iouri TOLOUBEEV (Eremine, directeur de l’usine), Olga LEBZAK (Tania Eremine, sa femme), Larissa EMELIANTSEVA (Sacha), Tatiana PELTSER (Nadia), B. JOUKOVSKI (l’ingénieur Makeev), F. BABADJANOV (Akbachev, secrétaire régional du parti), Vladimir KOLTCHINE (l’ouvrier Ivanov), A. TCHIRIEV (Roman, le jeune orphelin).

Photographie : Andrei MOSKVINE , Anatoli NAZAROV 
Musique : Dmitri CHOSTAKOVITCH
Compagnie productrice : Lenfilm



Avions :

  • -Lisunov Li-2
  • -Petlyakov Pe-2

 

Notre avis :

Ce film soviétique dont le scénario avait été approuvé par le Comité central du parti communiste, fut interdit en 1946 par ce même comité, quand il fut achevé…Il sortit enfin le 25 août 1956, de façon très discrète. Les principaux personnages sont des ouvriers qui vont devoir reconstruire leur usine d'aviation, évacuée d'une région exposée aux attaques allemandes, lors de la Grande Guerre patriotique (1941-1945).

En septembre 1941, l'armée allemande se précipite sur Leningrad. Le dernier avion quitte l'aérodrome de l'usine de Leningrad-Chkalov, où il a été fabriqué et qui vient d'être bombardée. De nombreux habitants sont évacués en train, vers le lointain Ouzbékistan où une autre usine doit être construite et, ce, dans un délai de deux mois ! Les ouvriers de l'ancienne usine se battent au front et il va falloir recruter rapidement de nouveaux ouvriers parmi les personnes déplacées, mais aussi parmi la population locale. On fait appel aux femmes comme aux hommes, aux gens âgés comme aux adolescents. Sur le site de l'usine, on installe des machines en plein air et les ouvriers doivent travailler à des cadences infernales dans la boue, parfois sous une pluie battante, avec des éclairages de fortune. Ouvriers et ouvrières se vouent corps et âmes à la reconstruction de leur usine. Beaucoup d'entre eux ont perdu leurs proches, comme le directeur de l'usine, Eremine, dont la femme, Tania, a disparu lors de l'évacuation. Mais Eremine ne se laisse pas abattre et on le voit, jour et nuit, parcourir l'usine et inspecter ses divers ateliers. Une fois capturée par les Allemands, sa femme a enduré toutes les épreuves de l'occupation, qui ont dégradé son état de santé, au point de la rendre amnésique. Mais, alors que, que tout le monde la croyait disparue, elle se retrouve, par hasard, parmi la population évacuée. Les soins attentionnés des médecins vont lui permettre de guérir et de retrouver la mémoire. Le jour où l'usine sort son premier avion, elle quitte l'hôpital et retrouve son mari. Avec lui et tout le personnel de l'usine, elle va pouvoir célébrer la victoire du travail.

Le sujet du film était a priori irréprochable, le Comité central du parti communiste se plaignant en permanence que les cinéastes s'intéressaient peu à la société soviétique de leur temps. Mais en 1946, ce film était devenu l'exemple de ce qu'il ne voulait plus voir à l'écran !

La censure se basa sur plusieurs arguments. Dans le film, le directeur Eremine est critiqué par ses conseillers techniques qui sont rarement d’accord avec lui; ils passent leur temps à hésiter, et participent peu à l’effort de production. Par contre, les ouvriers sont mis en valeur, notamment des personnages féminins dont on souligne le courage et l’esprit de sacrifice. Si la place accordée aux femmes correspond à une réalité de la société soviétique pendant la guerre, cette réalité ne fut pas forcément facile à accepter pour les membres du Conseil artistique.

Les militaires trouvèrent que l’évacuation et la reconstruction de l’usine en Asie centrale se faisait de façon totalement désorganisée et dans un délai trop court (deux mois). Le chaos et le sous-équipement technique conduisaient le spectateur à penser que tout reposait sur la force morale intrinsèque de la population civile.

Les ouvriers ouzbeks envoyés en renfort pour participer à la reconstruction de l’usine, évoquaient davantage une société traditionnelle que celle de l’Union soviétique de Staline. À pied ou à cheval, au son des karnays (trompes), les ouzbeks, flambeaux à la main, forment une longue procession qui date d'une autre époque. Les gens de Leningrad débarquent dans une ville musulmane composée de maisons traditionnelles en banco, de rues tortueuses; ici, pas d'immeubles neufs, pas d'avenues asphaltées, aucune modernité soviétique n’est visible à l’écran.

Le film met en avant des anonymes, des gens "ordinaires" et ignore effectivement les grands héros. Il mentionne à peine le parti communiste et exalte la force de l’"arrière", des oubliés de l’histoire officielle, de ceux qui se sont battus dans le dénuement et la solitude pour la victoire. Leur combat est aussi respectable que celui de ceux qui sont au front.

Ce film est donc loin du style boursouflé des superproductions staliniennes comme "Le Serment" (1946) ou "La chute de Berlin" (1949) qui en sont devenus l’archétype. "Des gens ordinaires" fait le choix de la sobriété et du dénuement pour raconter la transfiguration des petites gens en héros de la nation.

A la fin de la guerre, dans la société soviétique, certains thèmes étaient particulièrement sensibles : la religion, la place du Parti, les républiques de la périphérie, qui en Asie centrale semblent, d'après le film, plutôt en retard par rapport aux régions occidentales. La possibilité pour le cinéma soviétique de s’intéresser au destin des petites gens est désormais de plus en plus limitée. Le septième art est prié de glorifier les grandes figures de la nation, d’oublier le petit pour privilégier l’illustre, et de tourner le dos à la simplicité, pour embrasser le monumental. Ce faisant, le cinéma soviétique rompt avec les thèmes qui l’avaient inspiré pendant la guerre et se réfugie dans les genres académiques qui s’imposèrent à partir de 1946 : les documentaires artistiques et les biographies filmées…

Quant à notre critique, elle serait que l'histoire du film se concentre sur les ouvriers (surtout les ouvrières) et pas sur leur production, un célèbre bombardier en piqué, dont, apparemment, deux exemplaires furent employés pour être (mal) filmés au sol, sur un terrain d'aviation non identifié.

 

Les avions du film :

L'avion du film est le Petlyakov Pe-2 "Peschka", un bombardier en piqué qui fut un des meilleurs appareils de combat de la VVS (Voyenno-Vozdushniye Sily) l'armée de l'air soviétique, lors de la seconde guerre mondiale. Il fut construit sous plusieurs versions, bombardier en piqué, en palier, chasseur de haute altitude, à long rayon d'action, avion de reconnaissance…

L'avion qui décolle de l'usine bombardée a une antenne de radio, incorporant également le tube Pitot, à l'arrière de la verrière, et une tourelle VUB-1 armée d'une mitrailleuse Berezin UBT de 12,7 mm, manœuvrée par le navigateur. Cette tourelle comprend sur le dessus une seule grande ailette d'équilibrage, destinée à contrer la pression de sillage du canon de la mitrailleuse. Vu de l'avant, on constate que le nez ne comporte aucune fenêtre sur les côtés, seulement sous le dessous, où est positionnée une antenne gonio circulaire RPK-10. Il s'agit d'un Pe-2 série 115, produit à l'usine n° 22 de Kazan (Tatarstan), à partir de l'automne 1942.

Le Pe-2 qui sort de l'usine à la fin du film, est d'un modèle légèrement différent. Il a une antenne à l'avant du cockpit, avec ses volets de piqué, en forme de persienne, déployés sous les ailes. Il est équipé, comme le précédent, d'une tourelle VUB-1. Il s'agit d'un Pe-2 série 205 fabriqué à l'usine de Kazan, à partir de juin 1943.

Plusieurs usines aéronautiques furent effectivement déplacées, comme dans le film, de Leningrad en pays ouzbek, à Tachkent, à la fin de 1941. Cependant, en 1941, le Pe-2 n'était pas construit à Leningrad, mais à l'usine GAZ (Gosudarstvenny AviaZavod : usine d'aviation nationale) n° 22 de Moscou-Fili, à l'usine GAZ n° 39 de Moscou-Khodinka et à l'usine GAZ n° 124, déjà installée à Kazan depuis 1937 et qui construisait des PS-84, la version russe du Douglas DC-3. En fait, le déménagement de l'usine du film correspond mieux à celui de l'usine n° 84 de Moscou-Khimki qui fabriquait également des PS-84 et qui, à la demande expresse du secrétaire du Comité central du parti communiste d'Ouzbékistan, faite directement auprès de Staline, fut installée près de l'aéroport de Tachkent-Vostochnyy, sur le site de l'usine n° 34, en construction et qui ne produira aucun avion. Le dernier train transportant le matériel de l'usine quitta Khimki le 12 novembre 1941 et l'usine recommença à produire dès le 7 janvier 1942, soit 56 jours après ! Fin janvier, huit PS-84 avaient été construits; le film n'exagère donc pas.

En octobre 1941, suite à l'Opération "Typhon" lancée par les Allemands, l'ordre fut donné de déménager l'usine GAZ 22 de Fili à Kazan, où elle fut dirigée par Vladimir Mihaylovitch Petlyakov. La force aérienne soviétique (VVS) ayant un besoin urgent de ce bombardier rapide, la production atteignit 13 appareils par jour, mais le temps de travail par avion passa de 25.300 heures en décembre 1940, à 13.200 heures un an plus tard. Les performances de l'avion en furent négativement affectées. Cette situation était due au manque de main d'oeuvre qualifiée, les avions étant construits (comme dans le film) par des jeunes, des femmes, des locaux ne parlant pas un seul mot de Russe, travaillant 12 heures par jour, dans des conditions exécrables, avec des rations alimentaires misérables. Les ouvriers qualifiés, comme certains cadres, avaient été appelés au front. Les usines durent faire face également à des problèmes d'approvisionnement en matière première, ainsi que de fourniture d'énergie.

Dans l'usine, en Ouzbékistan, on nous montre l'assemblage du Pe-2, la partie avant du fuselage comportant le cockpit étroit accueillant le pilote et le navigateur, la partie centrale recevant l'aile et la partie arrière occupée par le radio-mitrailleur. On voit un jeune ouvrier travaillant sur une tourelle VUB-1. On voit aussi le montage d'un moteur Klimov M-105, douze cylindres en V (genre Hispano-Suiza) qui fut la source de nombreux accidents, provoqués par des problèmes d'usinage et de finition. Il avait tendance à prendre feu, suite à la rupture des canalisations d'essence mal fixées. C'est d'ailleurs pour cette raison que Petlyakov se tua le 12 janvier 1942, alors qu'il se rendait à une convocation urgente à Moscou. Une demi heure après le décollage, une fumée épaisse envahit l'intérieur de l'avion, asphyxiant ses occupants que l'on retrouva fortement brûlés et, ce, avant même que l'avion ne s'écrase au sol près d'Arzamas. L'enquête conclut que l'incendie avait démarré dans la nacelle du moteur droit, suite à une fuite de carburant.

On nous montre également un autre point faible du Pe-2, le train d'atterrissage composé de deux jambes avec amortisseur hydraulique, se rétractant vers l'arrière. Il provoquait des rebonds à l'atterrissage, ce qui pouvait être très dangereux sur des terrains en herbe. Ce défaut ne put jamais être corrigé et caractérisera le Pe-2.

Enfin, rappelons que des femmes ne se sont pas contentées de fabriquer le Pe-2, mais l'ont aussi piloté, non pas lors de vols de convoyage, mais au sein du 587ème Régiment de Bombardement, une unité entièrement féminine au départ, fondée par Marina Raskova, nommée héros de l'Union soviétique suite à ses vols records, d'avant-guerre. C'est en janvier 1943, qu'après avoir été transformé sur le Pe-2, que le régiment  fut opérationnel.

Au début du film, près avoir constaté les dégâts subis par l'usine, Eremine et ses collaborateurs partent dans un Lisunov Li-2 (copie du Douglas C-47), portant le numéro "5" sur  le gouvernail.

 

Christian Santoir

*Film disponible sur YouTube

 

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